Perte morale par abandon du principe de liberté d'opinion et de défense de la profession

J'ai eu l'occasion de faire remarquer qu'être partisan de Kaïs Saied, c'est fermer les yeux sur des atteintes aux droits des personnes (dans la foulée de l'atteinte aux droits des textes). On apprend à faire semblant de n'avoir pas vu et pas entendu. On se fabrique une observation sélective : des événements se présentent dans notre champ de perception, mais on accorde aux uns le titre de réalité et, aux autres, on ne reconnaît que celui de l'ombre fugace. Pourquoi ? Parce qu'il y a donc des événements qui amèneraient à revoir ses choix d'un œil critique, alors qu'une certaine inertie intellectuelle dicte, elle, de s'en tenir à ces mêmes choix. Question de confort, en somme. De paresse aussi, sans doute.

Mais être partisan de Kaïs Saied demande bien plus que cela, en réalité. Il faut aller au-delà de la perception sélective. Il faut savoir tordre le cou à des principes qu'on a défendus dans le passé. Comme le fait qu'on ne juge pas un journaliste pour ses opinions. À fortiori si ce jugement est à rendre par un tribunal militaire.

Ce qui illustre mon propos, c'est l'empressement de journalistes qui, contre la solidarité naturelle et saine qui enjoint de se porter au secours d'un collègue mis en difficulté pour ses opinions - même si on ne partage pas ces dernières -, choisissent au contraire de justifier la décision judiciaire prise à son encontre. Et de s'ingénier, mieux que ne saurait le faire le juge sans doute, à présenter la conduite de leur collègue comme inqualifiable.

Ses propos sortent des normes de la correction, disent-ils. Car il y a des normes en cette matière. Il est partisan, ajoutent-ils. Mais eux-mêmes ne le sont pas et ne l'ont jamais été. Quelle myopie ! La chaîne qui l'emploie est une chaîne "pirate" qui n'a pas reçu les autorisations légales. Ce qui veut dire que, faute d'obtenir cette régularisation, on peut se contenter de faire passer les journalistes qui y travaillent à la trappe de la justice militaire...

Cet acharnement contre quelqu'un qui dénonce une atteinte à la démocratie par le président Kaïs Saied, mais qui a le tort de le faire à partir d'un bord politique qui n'est pas le nôtre, conduit même à renoncer à la capacité de lire correctement un texte. Puisque les propos incriminés du journaliste arrêté reposent sur une mauvaise interprétation d'un poème. On s'autorise à lui prêter des intentions contre le sens évident des vers qu'il a cités.

Donc, pour nous résumer : perte des facultés perceptives, perte morale par abandon du principe de liberté d'opinion et de défense de la profession ainsi que leur remplacement par une pruderie de circonstance et, enfin, perte des facultés intellectuelles par adoption de modes de lecture qui se caractérisent par l'absence de précision et l'inadéquation avec le sens du texte. L'avenir du journalisme n'est pas radieux, à ce train.

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