L'attaque israélienne sur l'Iran était attendue. Depuis plusieurs mois maintenant, tout ce qui compte de relais possibles pour la puissance iranienne a été pris pour cible et en partie neutralisé, qu'il s'agisse du Hamas à Gaza, du Hezbollah au Liban, de l'ancien régime syrien et, dans une moindre mesure sans doute, des Houthis au Yémen…
Dans cette guerre, il n'y a pas qu'Israël qui défend sa "survie", selon la rhétorique en vigueur parmi les représentants du gouvernement israélien : il y a l'Occident tout entier qui ne supporte pas l'idée d'une puissance qui se réclame de l'islam, qui inscrit son action politique dans le cadre d'une "révolution islamique" et qui, dans le même temps, menace à plus ou moins brève échéance, de se doter de l'arme nucléaire…
Je dis "l'Occident" en visant large, mais on notera que l'attitude de la Russie, en ces circonstances, témoigne elle-même de ce que l'alliance de ce pays avec l'Iran est non seulement faible, mais peut-être bien fausse. Ce qui signifie que, pas moins que les Etats-Unis et Israël, la Russie voit d'un mauvais œil la perspective d'un Iran puissance nucléaire et capable demain de gagner à sa cause la sympathie et l'adhésion des populations musulmanes à travers la vaste planète.
L'Histoire nous dira peut-être un jour si pareil danger n'a pas été identifié et médité beaucoup plus tôt qu'on ne croit, s'il n'a pas même été un des motifs qui a précipité la fin de la Guerre froide entre les pays occidentaux et le bloc soviétique, dans le prolongement des négociations autour de la limitation des armes nucléaires.
Certes, la Russie peut prétexter de son enlisement dans sa guerre avec l'Ukraine pour justifier la timidité de sa réaction face aux derniers événements. Mais la vérité est qu'elle y trouve elle-même son compte, par-delà toutes ces considérations évoquées ici et là sur la hausse du prix du pétrole et autres niaiseries... Poutine dispose d'autres moyens de guerre qu'il n'a pas engagés dans le conflit avec l'Ukraine, comme il ne manque pas de le rappeler parfois. Et pourtant, il ne bouge pas d'un iota pour défendre un pays qui a été son partenaire dans le passé, et dont il recevrait aujourd'hui encore certaines armes…
L'alliance de la Russie et de l'Iran est une alliance fausse pour une autre raison encore. C'est que la "révolution islamique" avait dès le départ l'ambition de s'attirer la sympathie de tous ceux qui vouaient à l'Occident une violente réprobation en raison de la décadence des mœurs qu'il a instituée dans le monde. Or Poutine incarne aujourd'hui ce parti de la réprobation et du défi à l'Occident. De sorte que la révolution islamique iranienne a beaucoup perdu de son attrait auprès du camp anti-occidental, y compris au sein des pays musulmans. Son carburant idéologique a fait l'objet, pour ainsi dire, d'une opération de siphonnage.
L'attaque israélienne contre l'Iran donne le spectacle illusoire de deux entités isolées qui s'opposent. Les déclarations diplomatiques des uns et des autres confortent l'illusion. On fait mine de se désoler et d'appeler au retour à la logique de la négociation. La vérité est que des choses se passent derrière les rideaux qui élargissent beaucoup la scène du conflit. Le repli de la Russie en est un aspect. La témérité d'Israël en est un autre. Il s'explique par le soutien des puissances occidentales qui lui est acquis. À moins qu'Israël ne soit dans cette histoire que le bras armé, que l'exécutant qui n'agit qu'après avoir reçu ses ordres d'un commandement situé essentiellement à Washington... De l'autre côté, l'Iran mène un combat plus souterrain en direction des populations musulmanes et autres afin de gagner à sa cause tous ceux que révolte l'hégémonie occidentale, afin d'en faire peut-être ses nouveaux alliés.
Il semble cependant que la révolution iranienne n'ait pas de beaux jours devant elle. Et que l'islam, s'il doit faire un jour l'objet d'une révolution - et il le fera - n'a pas nécessairement à suivre le chemin ouvert par les Ayatollahs iraniens, quelle que soit l'importance de l'Iran comme civilisation millénaire.
Une révolution qui se conçoit dès le départ dans son opposition à l'autre est de toute façon une révolution qui se condamne à manquer de souffle.