Extrait d'une discussion -inachevée--sur le thème de notre relation à la langue

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Extrait d'une discussion -inachevée--sur le thème de notre relation à la langue et de la place que chacune des langues que nous parlons doit faire aux autres, loin de toute position d'autorité ou de velléité hégémonique.

Le français reste pour nous un "butin de guerre" et nous ne devons pas le délaisser. Maintenant qu'il serve à dévaloriser notre héritage arabe, c'est ce que nous ne devons pas permettre. Et ce n'est d'ailleurs pas faire honneur à la langue française que de la réduire à cette fonction de discrédit des autres langues, même si l'expérience coloniale - et post-coloniale - a pu la faire tomber un jour dans cette posture prétentieuse, et même si beaucoup d'entre nous n'en retiennent que cela [...].

Nous sommes un peuple dont aucune des langues qu'il parle au quotidien n'est une langue née sur cette terre. Elles sont toutes "importées". Est-ce à dire que notre génie linguistique est mis entièrement en sommeil ? Non. Pourquoi non ? Parce que ce qui nous reste, c'est de réinventer ces langues dont nous avons hérité et de leur insuffler une musicalité qui nous est propre.

C'est un processus d'acclimatation et d'appropriation, qui produit ses échecs, mais qui produit aussi ses réussites... En tout cas, le purisme linguistique, quand la langue parlée n'est pas native du pays, qu'elle vient d'un ailleurs - une autre terre, un autre peuple -, est une attitude qui ne se justifie pas. Il faut le marier avec une attitude d'attention bienveillante à l'égard de tout ce qui est de nature à faire revivre notre génie propre.

Ce qui veut dire : ne pas utiliser les langues de façon trop rigoriste et trop soumise aux normes grammaticales existante, mais les "réinventer". Ce qui n'est pas les défigurer, ni les "bâtardiser", au contraire ! […]

Je ne parle pas de notre peuple comme d'une entité invariable. Je reconnais au contraire qu'il a assimilé en son sein, et s'est donc laissé transformer, par toutes les influences qu'il a reçues, et qui ne sont certes par du même ordre ou du même niveau.

En revanche, je pense qu'il y a quelque chose d'invariant qui traverse les époques et grâce à quoi ce peuple ne se laisse pas dissoudre dans les influences qu'il reçoit, mais se ménage la possibilité de les façonner et de les accommoder.

C'est sa part rebelle qui résiste à toute conquête et à toute acculturation, en reprenant l'initiative de l'invention, ou de la "réinvention". En un sens, c'est à cause de ce génie de la réinvention que ce peuple sait faire coexister plusieurs langues dans ses usages et qu'il le fait sans se sentir trahi dans son identité.

La Tunisie a en particulier une équation à résoudre, qui est à la fois de laisser opérer son "alchimie" et de marquer son appartenance à l'aire arabe à l'heure où une certaine conception de la modernité tente de l'en couper. Ce qui ne signifie pas qu'il faille "claudiquer" entre invention et purisme.

Je dirais qu'il faut que l'attachement, légitime, à l'arabe doit évoluer dans le sens de la recherche de ce qui, dans cette langue, relève du "désir de l'autre langue"…

Il est vrai que peu de pays parlent, dans sa pureté, la langue parlée par leurs ancêtres, mais les pays européens nous offrent quand même l'exemple de nations qui ont su se forger une personnalité linguistique spécifique à partir d'éléments anciens.

Dans notre cas, l'allégeance à la civilisation arabo-musulmane, qu'on oppose volontiers aux prétentions de "l'Occident", nous pousse parfois à regarder avec mépris cette partie ancienne de notre langue. Nous parlons un dialecte arabe dont la dimension berbère est, sinon muselée, du moins contenue dans certaines limites.

Autant je me méfie de la langue arabe quand elle devient lieu de refuge face à la modernité, d'où on lance ses imprécations et ses malédictions contre l'Occident en se gargarisant peut-être du présupposé religieux selon lequel on parle LA langue sacrée dans laquelle Dieu a parlé, autant je lui sais gré de constituer une sorte de garde-fou qui m'empêche de tomber en idolâtrie devant les sortilèges de cette modernité.

Cette langue a une saveur qui me rappelle qu'il existe dans l'humanité de l'homme quelque chose qu'on a tort de réduire à du sentimentalisme et qui fait une place à la dimension musicale de l'existence et de l'expérience du monde…

Beaucoup de poètes européens, qui ont à cœur de "malmener" leur langue dans leurs poèmes, sont précisément à la recherche de cette dimension musicale perdue, que nous boudons pour notre part, en bons suiveurs de la culture des "Lumières".

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