Elyès Fakhfakh : ceux qui nous parlent éthique ne sont pas nécessairement mus par des motivations réellement éthiques…

Photo

On entend parler, de-ci de-là, d'obligation d'exemplarité, entendant par cette expression que, quand il s'agit des gouvernants, ne pas être en faute à l'égard des lois existantes ne suffit pas : il faut, en plus, administrer la preuve qu'on est irréprochable même au regard de ce qui n'est pas clairement prescrit dans les textes, parce que cela relève des bons usages, de l'éthique.

C'est une bonne chose. On se demande d'ailleurs si on n'aurait pas pu y penser un peu plus tôt, à propos d'autres figures politiques qui ont été aux commandes. Mais enfin, il n'est jamais trop tard pour bien faire, dira-t-on.

En même temps, on voit assez l'inconvénient qu'il y a pour cet argument à sortir aujourd'hui, et avec cette insistance, dans la mesure où il attire sur lui le soupçon d'être mû, non pas tant par un souci de moralisation de la vie publique, comme on dit, mais par une volonté d'éliminer un acteur politique.

Est-il si sûr que le devoir d'exemplarité n'ait pas eu l'occasion d'être invoqué dans un passé pas si lointain ? Quand le regretté Béji Caïd Essebsi léguait à son fils les commandes du parti qu'il avait créé, était-ce tout à fait exemplaire ? On n'a pas le souvenir que la chose ait suscité chez certains plus qu'un mouvement d'humeur, de l'agacement…

Autre époque, autres mœurs. Soit. Mais, à propos d'époque justement, est-ce qu'il ne se pourrait pas que nous soyons passés à une étape de notre histoire mondialisée où, bien souvent, l'homme de la situation n'est plus le produit de l'establishment politique, mais davantage quelqu'un qui connaît la vie économique de l'intérieur, qui en comprend les mécanismes internes ?

Si c'est le cas, comme on peut le penser, alors l'exemplarité ne saurait se présenter tout à fait sous le même aspect qu'autrefois. Ce n'est plus l'exemplarité de celui qui s'abstient et qui se retient, c'est au contraire l'exemplarité de celui qui montre positivement un chemin : un chemin par lequel chaque citoyen est appelé à changer, en même que son destin personnel ou familial, celui de son pays.

Bien sûr, cette forme positive d'exemplarité, venant d'un gouvernant, requiert un réglage. Elle doit garder ce qui relève du courage dans l'engagement, de l'acceptation du risque et de la persévérance dans la transformation du réel en se délestant de tout ce qui est susceptible de donner lieu à une lecture où ce qui ressortirait, c'est l'utilisation d'une position de pouvoir pour favoriser ses intérêts.

Mais, à vrai dire, il y a dans ce délestage lui-même une dimension d'exemplarité citoyenne qui n'a rien de superflu. La vie économique, avec ses acteurs divers, nous offre chaque jour une infinité de situations où des positions de domination donnent lieu à des actions qui ne vont pas dans le sens de l'éthique. Et nous avons besoin, dans notre culture, d'exemples d'acteurs qui, par refus d'une tournure qui se révèle tout d'un coup malsaine, acceptent de repousser une opportunité, de sacrifier un gain personnel, pour préserver un climat général de plus grand respect du jeu économique et de l'esprit de fair-play qui doit y présider.

Cela aussi, c'est l'exemplarité : mais dans sa version moins classique, plus en accord avec l'époque.

Le "faux pas", dont certains veulent faire un pas fatal, dont seule une démission peut laver la faute, n'est peut-être que le pas sans lequel l'exemplarité du pas en arrière ne saurait se manifester.

On peut bien sûr rester prudent au sujet de cette possibilité. Mais, prudence pour prudence, rappelons-nous aussi que tous ceux qui nous parlent éthique ne sont pas nécessairement mus par des motivations réellement éthiques.

Poster commentaire - أضف تعليقا

أي تعليق مسيء خارجا عن حدود الأخلاق ولا علاقة له بالمقال سيتم حذفه
Tout commentaire injurieux et sans rapport avec l'article sera supprimé.

Commentaires - تعليقات
Pas de commentaires - لا توجد تعليقات