Gaza : La force du droit est mise à mal par le droit de la force

Une des difficultés à faire régner la paix parmi les nations réside dans l’illusion qu’une ultime guerre préventive permettrait d’instaurer enfin les conditions en vue d’un ordre pacifique durable. Car ce qui est perçu comme un simple moyen au service de la paix, dont les inconvénients en termes de violence infligée seraient plus ou moins largement rachetés par les avantages qu’on est en droit d’en attendre dans l’avenir, cela ne peut souvent s’empêcher de basculer dans la logique de la guerre et de ses surenchères, dans la domination violente de certains hommes par d’autres, dans l’ancienne perversion par laquelle le langage de la force croit pouvoir s’octroyer pour lui-même les attributs à la fois du droit et de la vertu. On pense que la fin justifie les moyens : la vérité est que les moyens, s’ils sont mauvais, ne font que rendre la fin elle-même mauvaise, loin de la servir.

Depuis la fin de la Guerre froide, il existe une situation internationale en laquelle l’illusion dont nous parlons est nourrie avec une constance certaine. Et l’ultime guerre préventive qu’il s’agit de mener afin, pense-t-on, d’assurer des lendemains sans guerre à l’humanité, c’est celle qui est livrée au Moyen-Orient. Avec ce présupposé selon lequel le monde arabo-musulman, déjà doté de l’arme du pétrole et fort du sentiment de son unité ethnique, linguistique et religieuse, serait la menace de demain dès lors que, en plus de cela, s’ajouterait à son arsenal l’élément des « armes de destruction massive », selon une terminologie devenue commune.

Les guerres sans fin qui ont marqué cette région, on le sait bien, ne sont pas que le fait de rivalités entre voisins. Elles sont habilement suscitées et soutenues de loin, selon une stratégie d’affaiblissement des uns par les autres, avec le dessein louable, ou prétendument tel, que tout cela mènera in fine à un monde plus sûr pour tous. Le soutien à l’État d’Israël et à ses menées guerrières qui, sous couvert d’auto-défense, use et abuse de la logique préventive, s’inscrit tout à fait dans cette stratégie de la guerre ultime censée assurer l’ordre futur de la paix, et dont la démarche anticipative prévoit que l’ennemi soit, si nécessaire, provoqué à l’existence, avant qu’il ait à se manifester par lui-même, de manière à l’éliminer à l’avance.

Certes, la puissance israélienne bénéficie en Occident de réseaux secrets dans les mondes de la politique, des médias et de la finance, et cela à un point qui est sans doute complètement inédit dans l’Histoire. Cela explique en grande partie que ses atteintes flagrantes aux droits international et humanitaire ne reçoivent que de molles réprobations de la part des gouvernements en guise de réponse. Mais, à vrai dire, cette complaisance ne peut trouver dans l’existence des réseaux et de leur importance sa seule explication. Il faut s’aviser qu’Israël joue un rôle voulu par l’Occident, et que ce rôle consiste à désamorcer le danger du Moyen-Orient…

La peur du peuple Juif autour de sa propre survie, telle qu’elle a été conditionnée par des siècles de persécutions et, enfin, par la tentative d’extermination lors de la seconde Guerre mondiale, est de ce point de vue une panacée. C’est l’outil providentiel, pour ainsi dire, qui permet d’utiliser le thème de la « défense d’Israël » comme levier afin d’organiser la pacification du Moyen-Orient telle qu’elle a été programmée.

Mais ce à quoi on assiste depuis ces deux dernières années présente quelque chose de nouveau. Il y a un emballement de cette politique de neutralisation préventive et, du même coup, une suractivation du levier israélien afin que, au nom toujours de la défense de soi, il agisse vite et fort sur le terrain afin de terminer le travail de neutralisation.

Cet emballement a lieu à un moment où l’ordre international hérité de la fin de la seconde Guerre mondiale prend l’eau de partout. Les pays membres du Conseil de sécurité, censés jouer le rôle de garants de la paix dans le monde, se conduisent désormais comme des délinquants que rien ne peut plus retenir au service de leur grandeur exclusive. Partout la force du droit est mise à mal par le droit de la force. Nous en avons d’ailleurs un triste spectacle chez nous, avec l’effondrement du système judiciaire : comme si la perversion du système à l’échelle internationale avait traversé la cloison des nations…

Cette désagrégation générale pourrait être l’effet d’une usure naturelle du système onusien et de ses équilibres. Il est vrai que le monde a beaucoup changé depuis les années 40 du siècle dernier. Mais tout se passe comme si cette désagrégation était accompagnée d’une sorte de chaos organisé pour hâter la fin de l’ancien système en créant du même coup les conditions de son remplacement… Et tout se passe aussi comme si l’imminence du nouveau système créait une urgence dans le règlement ou la liquidation du « danger moyen-oriental », comme si la mise en place du système en question ne supporterait pas que se maintienne dans sa forme le monde arabo-musulman, avec ses rêves de revanche et de grandeur retrouvée, et qu’il fût absolument nécessaire qu’il se dissolve préalablement dans son environnement libéral.

Mais la façon brutale et barbare dont l’urgence est traitée n’est-elle pas comme un poison distillé dans le nouvel ordre mondial qu’on prétend instaurer. Elle a pour mission de faire en sorte que la paix nouvelle soit désormais débarrassée de ce qui pourrait entraver ses premiers pas, mais elle place encore plus sûrement cette paix sous un signe de mauvais augure. Elle relance le monde dans l’ordre de la violence, en dépit de l’intention déclarée de se vouer à un ordre de paix qui succèderait à celui, usé, qui nous vient du milieu du siècle dernier et des vainqueurs de la seconde Guerre.

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