Abir Moussi vient de nous confirmer qu'elle est vraiment une grande gueule qui n'a pas froid aux yeux. Il ne faut pas douter que, parmi le bon peuple qui pense que faire utilement de la politique en ce pays, c'est mener la vie dure à Ennahdha et à son chef, le nombre de ses admirateurs va croître.
Mais ce qui s'est passé sous la coupole de l'Assemblée ne s'arrête pas à ce numéro d'impertinence dont l'intéressée nous a gratifiés. Il faut y voir autre chose.
Abir Moussi a profité de la controverse autour du voyage de Ghannouchi à Istanbul pour défier Ennahdha, mais elle a défié aussi les autres partis "modernistes". Ou disons qu'elle les a mis au défi de la suivre dans une initiative dont elle a tenu à montrer qu'elle en a la paternité et qui consiste à demander officiellement le départ du Président de l'Assemblée.
Le but de la manœuvre est assez clair : s’ils acceptent, ils lui reconnaissent implicitement – et à leurs dépens - le rôle de celui qui mène la fronde, ou la danse. S’ils n’acceptent pas, ils passent pour des tièdes, des faux-culs qui se contentent de quelques haussements de voix et puis s’en vont.
Dans les deux cas, elle aura montré aux uns et aux autres qu’en matière de guerre contre Ennahdha, c’est elle qui est le chef, et que tous les autres sont des acteurs de second ordre, des médiocres, du menu fretin…
Toutefois, au-delà de cette manœuvre, il y a un troisième niveau de lecture. Un niveau de lecture où la présidente du PDL troque son rôle d’acteur principal contre celui de simple outil d’une Histoire qui se joue. En effet, elle apporte une énième preuve, mais cette fois plus éclatante, que notre modèle parlementaire est plus prompt à nourrir la lutte des partis pour l’hégémonie qu’à apporter des solutions au pays.
Au lieu d’absorber la violence présente dans la société pour la convertir en négociation et, finalement, en propositions concrètes au service des gens et de leurs régions, il ne fait que l’exacerber, que la porter à un point de plus en plus insupportable.
Rien de ce qui se dit et se débat sous la coupole de l’Assemblée ne peut espérer échapper à ce tourbillon de la polémique, par rapport auquel les enjeux les plus sacrés ne sont convoqués que pour nourrir les discours comme on nourrit un brasier.
Et cela nous met tous au défi de réfléchir à une alternative : à un nouveau modèle parlementaire qui, tout en nous faisant l’économie du conflit, nous réconcilie avec notre vocation à la démocratie, au lieu de nous la faire détester. S’il fallait retenir une seule leçon des derniers développements de notre vie parlementaire, c’est à notre avis celle-là.