La relation que le pouvoir entretient avec le peuple est une relation "ouranienne".

Il arrive en ce monde que des murs tombent, qu'ils s'écroulent de vieillesse. Connaissant l'entretien dont certains bénéficient et le choix de qualité qui préside à leur construction, ce sort n'a aucune raison de les épargner.

Il arrive aussi, mais c'est plus rare, qu'en tombant ces murs entraînent avec eux des vies humaines : des passants, par exemple, que la mauvaise fortune a conduit en ce lieu au moment fatidique. L'homme meurt de différentes façons, dirait-on. Certaines sont plus inaccoutumées que d'autres. Bien sûr, il aurait pu en être autrement. Mais ne dit-on pas aussi qu'il est vain de vouloir échapper à son destin... Le destin n'est-il pas justement cette chose qui s'accomplit en dépit de tous les obstacles qu'on pourrait placer en travers de son chemin.

Sans être particulièrement fataliste, voilà ce qui traverserait l'esprit de tout un chacun en apprenant la nouvelle tragique de la mort, dans la région de Sidi Bouzid, de trois jeunes suite à l'effondrement du mur de leur lycée.

Or, voilà, ce n'est absolument pas cette lecture-là que l'esprit a retenu : ni celui de l'habitant de la région, ni du Tunisien en général.

Malgré notre propension à une certaine forme de fatalisme, l'événement nous donne de lui-même un tout autre sens. Oui, il y a la négligence. Oui, le centralisme bureaucratique est de la partie qui fait de la moindre action à entreprendre un long et pénible chemin à travers les méandres de l'administration.

Même quand il s'agit de situations qui présentent les caractères de l'urgence. Oui, encore, il y a le régionalisme et ses déséquilibres en défaveur des zones de l'intérieur : ancien problème sur lequel butent les gouvernements depuis toujours... Mais, au-delà de tout ça, il y a ceci, à savoir que, pour sa préservation, le pouvoir en place tue. Il ne se contente pas de laisser mourir comme on laisse au bord du chemin : non, il assassine. Les anciens Grecs avaient exprimé la chose à travers le mythe d'Ouranos, qui dévorait ses enfants au fur et à mesure de leur naissance, de peur que l'un d'eux ne s'empare un jour du pouvoir.

Il y a différentes façons de mourir, disions-nous, et il y a aussi différentes façons de tuer. L'une d'entre elles est de rétrécir les horizons, de museler la parole, de faire prévaloir la peur, bref d'inoculer doucement dans la vie des gens ce sentiment de désespoir qui les fait aller d'eux-mêmes à la mort sans crier gare... Un vieux mur achève alors le travail.

Voilà ce qui, sans qu'on ait besoin de trop réfléchir, s'est imposé à la vue de nos esprits. Et voilà aussi ce qui s'est confirmé à travers la stratégie d'étouffement adoptée par le pouvoir en réponse aux troubles qui ont suivi la mort des lycéens. Car cet étouffement, que chacun a pu observer à travers la mobilisation à la fois policière et médiatique, ne fait pas que tenter de circonscrire une révolte et la mater. Il révèle le fond de vérité de la relation que le pouvoir entretient avec le peuple : relation qui est du côté de la mort et non du côté de la vie : une relation "ouranienne".

Voilà pourquoi un accident tragique au fin fond du pays prend tout d'un coup une tournure politique majeure qui ébranle le pouvoir sur ses fondements.

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