Nous le disions au lendemain de cette journée fatidique du 7 octobre : rien de ce qui se passe autour de Gaza n'est habituel. Rien, ni l'ampleur de l'attaque menée par le Hamas en territoire ennemi, ni l'état de sommeil de l'armée israélienne à la frontière avec Gaza ce jour-là, ni la préparation des hommes du Hamas sur le plan de la communication pour contester les très attendues accusations de barbarie au sujet des otages…
Ce même constat s'est confirmé de manière tragique dans les jours et les semaines qui ont suivi, avec la réponse militaire du gouvernement israélien. Cette réponse a quitté la logique des frappes ciblées : elle a procédé cette fois à un travail de destruction systématique, par rapport auquel la guerre contre Hamas est plus un prétexte qu'autre chose. Il s'agit de faire de Gaza un territoire inhabitable, sans reculer devant le massacre des civils dont les morts se comptent par dizaines de milliers.
Mais ce qui est peut-être l'élément le plus nouveau dans cette affaire, c'est la mobilisation contre la politique génocidaire d'Israël au niveau international. Et le fait surtout que ce soit dans les campus des universités américaines que cette mobilisation a connu sa forme la plus engagée et la plus spectaculaire. A telle enseigne que la solidarité de la rue arabe, autrefois la plus visible en pareille circonstance, apparaît désormais comme particulièrement timide.
L'ampleur du drame vécu par les Gazaouis, couplée à la révolte que provoquent dans les esprits la rhétorique mensongère des responsables israéliens et de leurs sympathisants, leur mauvaise foi qui cherche à mettre le rejet de leur politique de mort sur le compte de "l'antisémitisme", mais aussi l'antipathie profonde du juif sioniste en général qui ne reconnaît de droit à la vie et à la paix que pour lui-même, à l'exclusion de tous les autres humains, tout cela a provoqué une sorte de déplacement dans la géographie de la sympathie propalestinienne.
Les pays arabo-musulmans n'ont plus l'exclusivité de cette sympathie. Dans les pays traditionnellement amis des Israéliens, qui représentent en gros les pays occidentaux, on assiste ainsi à la constitution d'un front de résistance parmi la population estudiantine, mais qui s'élargit sans doute bien au-delà.
Dans quelles mesures ce front de résistance va-t-il s'installer dans la durée et peser de manière plus ou moins déterminante sur les pouvoirs en place ? La question se pose naturellement. Mais ce qui se passe aujourd'hui est en soi quelque chose de déjà assez irréversible. Et qui nous engage, nous autres qui sommes ici dans l'aire arabe, à concevoir des ponts, de manière à conférer à la "ligne de front" une dimension à la fois internationale, active et autrement plus efficiente.
Le temps de la guerre de tranchées qui se cantonne dans les limites des pays arabes est révolu : il faut se projeter dans une nouvelle forme de lutte, plus ouverte sur les alliances. Par-delà le mur des gouvernements et de leurs politiques.