Derrière les apparences d’improvisation ou de provocation gratuite, les prises de parole de Trump semblent obéir à une logique plus structurée que celle d’une communication politique classique. En fait, une lecture basée sur les enseignements de la théorie des jeux, révèle une stratégie où chaque déclaration publique vise à influencer, tester, et surtout dévoiler, voire désorienter les stratégies de ses interlocuteurs, adversaires comme alliés.
Depuis les travaux de von Neumann, Morgenstern et puis Nash, la théorie des jeux s’est imposée comme outil d’analyse des interactions stratégiques. Il s’agit d’agents rationnels, évoluant sous incertitude, qui ajustent leurs décisions selon les réactions anticipées des autres. Dans ce cadre, Trump apparaît non comme un idéologue, mais un joueur évoluant dans un environnement non coopératif, dominé par l’asymétrie d’information. Ses actions visent moins des résultats immédiats qu’à provoquer des réactions révélatrices du jeu adverse.
Ainsi, lorsqu’il annonce puis suspend des tarifs douaniers sur des centaines de milliards de dollars de produits chinois, Trump ne poursuit pas seulement des buts économiques. Il utilise plutôt l’incertitude comme levier pour forcer la Chine à dévoiler ses lignes rouges, ses faiblesses, ses marges de manœuvre. Je crois que c’est un jeu répété, où les réactions sont observées, les réponses testées. La stratégie de Trump suit ici une logique d’essai-erreur propre aux jeux à information incomplète, que les amis microéconomistes connaissent bien.
Qu’il s’agisse de l’Ukraine, de l’Iran ou du conflit israélo-palestinien, Trump adopte une stratégie d’ambiguïté, i.e., promesses sans plan clair, signaux contradictoires, soutien affiché puis recul. Cette imprévisibilité teste les limites adverses, tout en forçant même les alliés à revoir leurs positions.
Ces séquences révèlent une stratégie d’accumulation en visant à forcer les autres à parler, réagir, parfois se trahir, pour construire une lecture plus claire du champ stratégique. Schelling, prix Nobel d’économie, qui a théorisé le bluff et la menace crédible, aurait reconnu dans cette posture un usage mécanique de la dissuasion conditionnelle, où la parole devient outil de dévoilement.
Dans cette logique, l’un des gains escomptés réside dans la possibilité d’adopter un comportement de “passager clandestin”, au sens de la théorie des jeux, en tirant parti des concessions ou efforts des autres sans s’y engager équitablement. Cette posture a aussi une portée intérieure, en cultivant l’image d’un franc-parler impulsif, rompant avec les codes diplomatiques, Trump consolide son ancrage dans l’imaginaire populiste. Le désordre apparent devient théâtre de l’authenticité, utile à sa base électorale. Mais il n’est pas le seul dans ce jeu. D’autres puissances, y compris certains alliés, brouillent leurs intentions, masquent leurs objectifs et envoient des signaux ambigus.
Cette dynamique mène à un équilibre paradoxal, non plus fondé sur la dissuasion nucléaire comme durant la guerre froide, mais sur une dissuasion informationnelle. Personne ne sait jusqu’où l’autre est prêt à aller, mais chacun sait que l’imprévisibilité est une arme. Le système se stabilisera non par confiance, mais par crainte de l’irréversible.
Le monde dans lequel évolue Trump ressemble moins à un jeu coopératif qu’à une série de jeux instables, aux règles mouvantes, aux alliances temporaires, aux signaux ambigus. L’information, comme c’était toujours partout, y devient l’arme centrale privilégiée du pouvoir. Cette configuration repose non sur la transparence, mais sur un brouillage maîtrisé.
Qu’il soit mû par l’intuition ou conseillé par des experts en modélisation stratégique importe peu. Trump agit selon une logique propre aux jeux non coopératifs à information imparfaite. Il ne dit pas tout, ne sait pas tout, mais observe tout. Et dans ce théâtre où la parole piège, la stratégie n’est pas de convaincre, mais de faire parler l’autre pour mieux se positionner soi-même.