Des géants, un angle mort…

Depuis le jeune âge, une galerie de noms illustres s’impose à nous comme autant de figures fondatrices telles qu’Aristote, Rousseau, Kant, Hegel, Nietzsche, Freud, Sartre. Ils trônent au sommet de l’intelligence humaine. À travers leurs mots, on nous a appris à penser, à juger, à parler. Ils sont devenus les architectes silencieux de notre manière d’être au monde.

Mais un simple tour d’horizon de leurs œuvres, sans révérence excessive, suffit à faire vaciller certaines certitudes. Car ces géants de la pensée, ces maîtres de l’universel, ont souvent oublié, méprisé ou nié la moitié de l’humanité. Par exemple, Aristote tenait la femme pour un mâle imparfait. Rousseau, de son côté, la voulait formée pour plaire. Kant, alors là, doutait de sa capacité à raisonner par elle-même. Quant à Hegel, il la confinait au foyer, loin du devenir historique. Sinon, Nietzsche l’enveloppait dans les brumes du soupçon. Mais, Freud ne doutait d’un cran à l’envisager à travers un manque. Et même Sartre, chantre de la liberté, ne l’apercevait qu’au travers du regard d’autrui, masculin, bien entendu.

Sans diminuer en rien la profondeur de leurs apports philosophiques, littéraires ou politiques, force est de reconnaître qu’un point noir persiste dans leur vision de l’humanité, C’est que la femme y est absente, rabaissée, ou assignée à un rôle périphérique.

Même dans les discours les plus subversifs, on ne l’épargna pas. Elle fut, en fait, parfois réduite au rôle de vache de la révolution, nourricière mais secondaire, utile mais dispensable, présente sans voix.

Ce qui surprend, peut-être plus encore, c’est la place que ces références occupent encore dans une partie des élites intellectuelles. Par attachement sincère, parfois par réflexe culturel, ces penseurs sont invoqués comme des repères indépassables, non par paresse, mais parce qu’un système éducatif les a consacrés comme des lustres éclatants, sans jamais en interroger la lumière véritable.

Dans ce culte silencieux, le geste critique s’efface derrière l’admiration, et le doute cède à la révérence. Il arrive même que cet attachement serve d’écran pour éviter d’interroger son propre héritage, que l’on tient à distance comme un fardeau, voire une menace. Et pendant ce temps, des générations entières se sont succédé sans rien connaître, ou presque, de leur propre tradition de pensée sur la femme, ni ses lumières ni ses contradictions.

Ce silence, cette absence de transmission, ne sont pas sans effet. Ils laissent croire qu’il n’y a, ailleurs, rien à penser. Mais alors, faut-il croire que ce silence n’est entretenu que par les structures dominantes ? Que cette relégation n’a jamais rencontré de complicité ? Où étaient, où sont les voix des femmes elles-mêmes ?

Leur silence est-il une résignation, un oubli de soi, une fatigue ? Et quand certaines jouent le rôle que l’on attend d’elles sans le troubler, est-ce une forme de survie ou un consentement involontaire ? Peut-on rester absent sans conséquence, ou muet sans prix à payer ? Tant que ces questions resteront sans réponse, la pensée restera incomplète. Et l’humanité continuera de se penser à moitié.

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