Le Prix Nobel d’économie 2025 décerné à Philippe Aghion consacre l’un des économistes les plus influents de sa génération, mais non l’un des plus révolutionnaires. Sa distinction ne couronne pas une idée nouvelle, mais une reformulation élégante d’idées déjà présentes chez Arrow, Romer, Lucas et Schumpeter. C'est la croissance endogène, l’innovation comme moteur, la destruction créatrice comme mécanisme de renouvellement.
Aghion et ses coauteurs ont apporté des modèles rigoureux, calibrés, adaptables aux politiques publiques. Leur mérite est d’avoir donné à la croissance schumpetérienne une architecture analytique solide, traduisible en instruments économiques : fiscalité de l’innovation, institutions de concurrence, transition verte. Cette capacité de synthèse explique sans doute plus le prix que la nouveauté conceptuelle.
Mais les limites de ce paradigme demeurent entières. Il reste quand même aveugle aux dynamiques contemporaines de divergence technologique, à la concentration des savoirs et des données, et à la contrainte planétaire imposée par les technologies dominantes.
Les modèles d’Aghion, linéaires et stationnaires comme ils sont, reposent sur une frontière technologique, exogène (d’autres travaux, pourtant déjà au-delà de ce stade académique, ont été réfutés), ouverte, partagée, ascendante, alors que celle-ci est désormais verrouillée par quelques acteurs mondiaux et par des asymétries d’accès à l’IA.
En somme, ce Nobel célèbre la clarté d’un cadre, non la découverte d’un monde nouveau. L’économie de la croissance reste à réinventer; non plus comme moteur abstrait de productivité, mais comme système hiérarchisé de dépendances technologiques et de risques d’exclusion. C’est là que se jouera peut-être le prochain vrai tournant théorique.