« Autorité en crise, jeunesse en errance : l’urgence d’un nouveau pacte social »

Enrayer l’érosion de l’autorité institutionnelle et le désengagement des jeunes dans les sociétés nord-africaines (Tunisie, Maroc, Égypte) exige un effort systématique pour reconstruire le contrat social sur des fondements plus crédibles et équitables. Conformément à l’importance accordée par Hobbes à la sécurité, à l’insistance de Rousseau sur la légitimité et aux principes d’équité de Rawls, les gouvernements doivent remédier aux déficits institutionnels qui ont affaibli la capacité, perçue et réelle, de l’État à remplir ses obligations fondamentales. La reconstitution du contrat social en Tunisie, au Maroc et en Égypte n’est pas une simple aspiration politique ; c’est une condition préalable à la stabilisation du comportement des jeunes, à la réduction des systèmes de normes informels et au rétablissement de la confiance dans l’autorité publique. J’organiserais mes propos autour des axes génériques suivants :

(1) Rétablissement des fonctions essentielles de l’État (sécurité, éducation, santé). Les gouvernements doivent investir massivement dans la qualité et l’accessibilité des services essentiels. Dans une perspective hobbesienne, il est indispensable de mettre en place un dispositif de sécurité crédible, notamment aux abords des écoles, des cafés et des nœuds de transport, pour rétablir l’ordre public dans les espaces urbains. De même, l’amélioration de l’éducation et des soins de santé s’inscrit dans la perspective de Rawls, selon laquelle les institutions doivent améliorer les perspectives de vie des plus défavorisés. Les interventions clés comprennent la professionnalisation de la gouvernance scolaire, le renforcement des capacités des forces de police locales et la reconstruction des services de santé de première ligne, qui souffrent d’un sous-investissement chronique.

(2) Revitalisation des systèmes de soutien familial et de la protection communautaire. Un élément crucial, mais souvent négligé, des trajectoires comportementales des jeunes en Afrique du Nord concerne la qualité des relations intrafamiliales, et plus particulièrement le climat relationnel entre les parents. La sociologie de la famille démontre de façon constante que lorsque les interactions parentales sont marquées par la tension, l'instabilité ou une faible communication émotionnelle, les enfants intériorisent des normes fragmentées d'autorité, d'autonomie et de respect mutuel. Dans les contextes nord-africains, où la famille a historiquement constitué la principale institution de socialisation et de transmission des normes, la rupture des relations au sein du foyer peut avoir des conséquences sociales importantes.

Les travaux tels que ceux de François de Singly, Ulrich Beck et Elisabeth Beck-Gernsheim, soulignent que les conflits parentaux engendrent souvent ce que l'on pourrait appeler des ‘’déficits relationnels’’ chez les enfants ; diminution de la supervision, application incohérente des règles, repli sur soi et exposition précoce à des modèles d'interaction conflictuels. Ces dynamiques peuvent influencer les comportements quotidiens de diverses manières. Premièrement, lorsque les parents sont débordés, émotionnellement épuisés ou distants, les jeunes peuvent se rendre à l'école ou dans des lieux publics sans contact ni encadrement parental significatifs. Cette absence de micro-surveillance quotidienne, un phénomène bien documenté en sociologie urbaine, réduit la capacité de la famille à modérer l'influence des pairs ou les pressions extérieures.

Deuxièmement, les conflits visibles entre les parents affaiblissent la légitimité parentale aux yeux des enfants, faisant écho aux observations de Bourdieu sur l'érosion de l'autorité symbolique. Lorsqu'un parent dénigre publiquement l'autre, les jeunes peuvent réinterpréter les relations d'autorité comme arbitraires ou transactionnelles plutôt que normatives ou coopératives. Ceci renforce la perception (identifiée dans les travaux de Beck et Beck-Gernsheim sur les ''familles individualisées'') que la vie sociale est régie par des intérêts individuels plutôt que par des obligations partagées ou un respect mutuel.

Troisièmement, les conflits familiaux tendent à engendrer ce qu'Asef Bayat décrit comme une ‘’socialisation atomisée’’, où les enfants construisent leur identité principalement en dehors de la sphère familiale, s'appuyant plutôt sur les groupes de pairs, les plateformes numériques et les répertoires culturels mondiaux. En l'absence d'une coordination parentale stable, les jeunes peuvent se tourner vers des célébrités, des influenceurs ou des normes subculturelles pour trouver des repères identitaires compensatoires.

Le quatrième point concerne les structures juridiques et économiques qui façonnent la dissolution des familles. Dans de nombreux pays d'Afrique du Nord, les réformes du droit de la famille visent à renforcer l'égalité de genres et à protéger les conjoints vulnérables. Cependant, les recherches en matière de politiques familiales (Charrad, Sonneveld, Liversage, etc.) soulignent que les incitations économiques, les asymétries judiciaires et les rigidités administratives peuvent amplifier les conflits conjugaux ou inciter à la séparation stratégique, notamment au sein des ménages précaires de la classe moyenne ou à faibles revenus. Le problème n’est pas que la législation ''encourage'' le divorce, mais que les structures juridiques et économiques, combinées aux difficultés économiques, peuvent réduire les avantages perçus du compromis conjugal et même influencer la perception des relations, autrefois considérées comme sacrées. Ainsi, quand ''Négociation'' se substitue à ''Dialogue'', sachez qu'il ne s'agit plus de relation conjugale! Lorsque la dissolution des familles est relativement facile mais que les services de soutien aux couples sont insuffisants, des conflits mineurs peuvent dégénérer et perturber la sécurité affective des enfants.

En résumé, la qualité de la relation au sein du couple parental est un déterminant structurel du comportement des jeunes. Lorsque les relations parentales se détériorent, le contrat social au sein du foyer – analogue à celui décrit par Hobbes, Rousseau et Rawls au niveau sociétal – se rompt. Les enfants subissent un affaiblissement de l'autorité parentale, des messages moraux incohérents et un soutien affectif diminué. Ils sont alors plus susceptibles de se tourner vers leurs pairs, la culture urbaine ou les médias internationaux pour construire leur identité, ce qui contribue aux phénomènes observés dans l'espace public urbain.

Renforcer les liens familiaux exige donc plus que de simples réformes juridiques. Cela requiert des systèmes intégrés de soutien aux familles, incluant :

(I) Des services de conseil et de médiation accessibles ;

(II) des programmes de développement des compétences parentales fondés sur l'apprentissage socio-émotionnel ;

(III) des réseaux de mentorat communautaires ;

(IV) des structures de liaison école-famille pour rétablir la communication quotidienne ; et

(V) des mécanismes de protection sociale visant à réduire les difficultés économiques au sein des ménages.

Ces interventions s'inscrivent dans la perspective de l'équité rawlsienne (réduction des inégalités structurelles), dans l'importance accordée par Rousseau à l'éducation morale et à la légitimité collective, et dans l'insistance de Hobbes sur le rôle stabilisateur de l'autorité. Elles offrent une voie pour reconstituer les fondements micro-sociaux du contrat social plus large.

Les espaces publics urbains sont devenus des lieux informels de sociabilité et de délinquance juvénile. Les gouvernements devraient adopter des politiques fondées sur la notion de ‘’négociation sociale’’ d’Asef Bayat, qui souligne la nécessité d’intégrer les jeunes à la gouvernance urbaine plutôt que de les soumettre à un contrôle policier. Cela implique d’investir dans des infrastructures de transport plus sûres, des zones de loisirs dédiées et l’inclusion systématique des jeunes dans les processus de planification municipale. Les collectivités locales, avec le soutien des institutions internationales, peuvent piloter des programmes urbains participatifs permettant aux jeunes de repenser et de se réapproprier leurs quartiers, favorisant ainsi l’appropriation plutôt que l’exclusion.

Je développerais, (4) Renforcement de l’équité institutionnelle et de l’intégrité administrative, (5) L’urgence de rétablir un leadership symbolique et moral, et (6) L’institutionnalisation de la coordination, prochainement.

Poster commentaire - أضف تعليقا

أي تعليق مسيء خارجا عن حدود الأخلاق ولا علاقة له بالمقال سيتم حذفه
Tout commentaire injurieux et sans rapport avec l'article sera supprimé.

Commentaires - تعليقات
Pas de commentaires - لا توجد تعليقات