Culture, institutions et les limites de la démocratie libérale selon Huntington(*)

Dans Le Choc des civilisations (1996), S. Huntington n’analyse pas directement le rôle des institutions dans les transitions démocratiques, mais il en traite indirectement à travers la question de la compatibilité culturelle.

Selon lui, les institutions politiques sont profondément enracinées dans des contextes culturels spécifiques. De ce point de vue, les institutions démocratiques occidentales, telles que les élections libres, l'État de droit et la séparation des pouvoirs, sont perçues comme le fruit d’une longue évolution historique façonnée par les valeurs sous-jacentes chrétiennes, en particulier protestantes. Ainsi, la transplantation de ces institutions dans des civilisations non occidentales, telles que les sociétés islamiques, confucéennes (asiatiques) ou orthodoxes, aboutit souvent à des conflits ou à des échecs en raison d’incompatibilités culturelles.

Huntington avance que la démocratisation ‘’libérale’’ ne réussit que lorsqu’elle s’aligne sur les valeurs culturelles d’une société. En effet, les pays occidentaux ou ceux fortement influencés par l’Occident, tels que ceux d’Amérique latine ou d’Europe de l’Est, auraient ainsi mieux réussi à établir des démocraties libérales stables. En revanche, les civilisations islamique et confucéenne, valorisant la communauté sur l’individu, la hiérarchie ou l’autorité religieuse, résisteraient souvent à l’instauration de la démocratie libérale. Certes, des exceptions comme la Corée du Sud ou Taïwan existent, mais leur succès s’expliquerait en partie par leur développement économique et l’influence occidentale.

Le cas de la Tunisie constitue cependant une nuance intéressante. Appartenant à la civilisation islamique, la Tunisie aurait dû, selon le cadre d’analyse de Huntington, éprouver de grandes difficultés dans son processus de démocratisation. Or, après 2011, elle a réussi à adopter une constitution démocratique et à organiser des élections libres, recevant une reconnaissance internationale, quoique parfois controversée.

Cette réussite relative s’explique par la force de la société civile, la capacité de compromis entre laïcs et islamistes, ainsi qu’une tradition réformiste ancrée depuis au moins le 19e siècle. Pourtant, la crise politique de 2021, marquée par la suspension du Parlement et la concentration des pouvoirs par le président élu, montre que les acquis démocratiques restent fragiles.

Cela pourrait confirmer l’idée que des forces culturelles et structurelles profondes finissent par prévaloir. Toutefois, d’autres analyses insistent sur le rôle déterminant des difficultés socio-économiques et de la faiblesse institutionnelle (au sens des économistes :Acemoglu, Robinson, ...), plutôt que sur des déterminismes civilisationnels.

Parallèlement, des pays comme la Pologne et la République tchèque ont intégré avec succès les modèles démocratiques occidentaux, tandis que d'autres, tels que la Russie, l'Égypte ou l'Afghanistan, ont sombré dans l'autoritarisme ou l'instabilité.

Aujourd’hui, les régimes russes, turcs et chinois combinent développement capitaliste et contrôle politique fort, alors que des États comme l’Irak et la Libye demeurent profondément instables.

Bien que la thèse de Huntington souligne d’importants obstacles culturels à la démocratisation, elle a été critiquée pour son caractère excessivement déterministe. Des exemples comme l'Inde, l'Indonésie et la Tunisie démontrent que la démocratie peut s’enraciner hors de l’Occident, sous certaines conditions.

De nombreux chercheurs soulignent que des facteurs tels que l’éducation, le développement économique et la vitalité de la société civile jouent un rôle plus décisif que la seule appartenance culturelle. Mais rappelons que la dimension économique a déjà été mise à contribution dans le succès des expériences de démocratisation par l'auteur dans son ;'The Third Wave: Democratization in the Late Twentieth Century'' de 1991.

En définitive, la perspective de Huntington invite à reconnaître que les institutions démocratiques peinent à s’épanouir sans un environnement culturellement favorable, tout en offrant un cadre utile pour comprendre les dynamiques inégales de la démocratie à l’échelle mondiale.

(*) Extrait d'un projet d'ouvrage (inachevé et non encore publié).

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