Ordre sans justice, guerre sans fin.

A l'évidence, la guerre n’est pas un accident, loin de là. Elle constitue en fait l’ossature nue du monde. Sous le vernis des discours moraux, religieux ou humanistes, elle obéit aux lois froides de l’Économique et de la puissance. Là où les mots cherchent à masquer, la guerre, elle, révèle sa vérité. Conquérir une ressource, verrouiller une frontière, contrôler un corridor énergétique. Telle est sa véritable grammaire. Dans un ordre façonné par la rareté, la concurrence et l’accumulation, la guerre ne saurait être une exception ; elle en est la règle.

Cette logique ne s’arrête pas aux grandes puissances. Même dans les microcosmes de nos vies quotidiennes, elle s’impose. L’enfant se crispe sur un jouet, l’adulte sur un poste ou une parcelle de prestige. Plus pernicieuses encore sont ces fausses guerres, sans horizon ni enjeu réel, qui consument l’énergie humaine; disputes de couples nourries par l’orgueil, querelles intestines dans les marges sociales, rivalités absurdes au sein des cercles militants... autant de combats stériles qui dispersent les forces là où l’unité serait salvatrice, transformant l’humiliation collective en règlements de comptes privés. Pendant que les dominés s’épuisent à se disqualifier eux-mêmes, l’ordre dominant prospère, intact.

À cela s’ajoute la responsabilité des élites intellectuelles, souvent en retrait ou déconnectées des luttes populaires. Absorbées par leurs propres querelles ou contraintes institutionnelles, elles n’approfondissent pas suffisamment la conscience collective des populations. Celles-ci, prises dans le tourbillon des préoccupations quotidiennes et affaiblies intellectuellement par l’échec d’un système éducatif qui ne favorise ni la pensée critique ni l’émancipation, peinent à percevoir la nature profonde des conflits qui les affectent. Cette absence de leadership intellectuel conscient et mobilisateur contribue à la reproduction des schémas d’oppression et à la résignation généralisée.

À l’échelle des nations, cette mécanique s’amplifie. L’Allemagne nazie voulait le blé d’Ukraine, le pétrole du Caucase, les usines des Sudètes. L’Amérique, loin d’être en Irak à la recherche d’armes imaginaires, sécurisait ses intérêts, avant tout énergétiques. Souvent, la guerre n'est pas un choix libre, mais une exigence imposée par un système qui, pour se reproduire à plus grande échelle, est programmé pour un processus d'accumulation continue et rejette donc la stagnation et le repli sur soi ; sinon, il s'effondre. C'est ce que disent les économistes et les physiciens dans certaines conditions. Bref, "Croître, ou périr''.

Aujourd’hui, les industries de l’armement, véritables temples de l’innovation rentable, rendent la guerre structurellement tentante. Une fois les armes produites, leur usage devient presque inévitable. Et lorsque les régimes chancellent, un ennemi extérieur suffit à resserrer les rangs d’une population fracturée. Ce stratagème, des juntes sud-américaines aux USA- post-11 septembre, demeure d’une efficacité sinistre.

Par ailleurs, la guerre n'est pas une question de conquête ou de sécurité ; elle vise à priver les pays dominés, et déjà vaincus, d'une seule décennie de paix qui leur permettrait de se concentrer sur eux-mêmes, d'investir dans le capital humain et la recherche scientifique authentique, et de devenir une nation digne de sa place parmi les dominants. Montrez-moi un seul pays arabe au cours des cent dernières années qui n'ait pas été secoué au moins une fois par décennie par des événements menaçant son système interne...

La Libye et la Syrie ne sont pas condamnées pour leurs ''fautes'', mais pour leurs promesses. Trop autonomes, trop réformatrices, trop affranchies. Dans un monde fondé sur la dépendance, la maturité périphérique est une menace.

Une autre forme de guerre, tout aussi redoutable, s’impose aujourd’hui, celle de la terre brûlée. Loin des champs de bataille et des bombardements spectaculaires, cette stratégie dévaste méthodiquement les bases mêmes de la vie économique, sociale et culturelle des populations ciblées. C’est une guerre silencieuse qui détruit infrastructures, ruine les espoirs d’avenir et creuse le fossé de la dépendance.

Par cette politique de destruction méthodique, qu’elle prenne la forme de sanctions économiques paralysantes, de blocus interminables, de privations d’accès aux technologies, ou encore de démantèlement des systèmes éducatifs et sanitaires, le territoire n’est plus seulement contrôlé. Il est transformé en un désert politique et humain. Ce désert, au sens propre comme au figuré, consume les ressources, décourage toute résistance, et étouffe les germes même de l’émancipation.

L’exemple le plus tragiquement actuel est celui de la Palestine. La stratégie déployée à l’échelle du globe, à travers l’entité sioniste, sous l’apparence d’un conflit militaire classique, ressemble de plus en plus à une guerre de la terre brûlée; démantèlement des infrastructures, confiscation des terres, blocus étouffant de Gaza, expansion des colonies, violences quotidiennes qui sapent les conditions de vie. Ce n’est pas un simple conflit, mais un processus lent et continu de déshumanisation et d’élimination progressive d’un peuple en tant qu’acteur souverain.

Face à cette réalité, la ''communauté'' internationale préfère l’indifférence complice à l’action. Le droit international vacille, les résolutions restent lettres mortes, les discours se succèdent en échos creux. Le monde semble anesthésié, incapable ou peu disposé à affronter cette guerre par procuration, cette destruction ordonnée.

Cette guerre révèle la vraie nature du pouvoir moderne, à savoir une domination qui ne se contente plus d’occuper, mais qui veut anéantir les conditions mêmes de la vie autonome, imposant une soumission durable par la misère programmée et l’exclusion systématique.

Ainsi, la guerre contemporaine est sans visage unique. Elle s’insinue dans les flux migratoires instrumentalisés, dans les tensions énergétiques et hydriques, dans la privation économique, dans la destruction lente mais méthodique des capacités éducatives et sanitaires. Elle tue silencieusement, asphyxie progressivement, déstructure méthodiquement.

Les philosophes classiques l’avaient pressenti. Hobbes décrivait cet état naturel de violence permanente, Hegel voyait la guerre comme moteur dialectique de l’histoire, et Kant énonçait la paix perpétuelle comme idéal moral à atteindre.

Donc, ce n’est pas la guerre qui est inévitable. Ce sont les sociétés qui refusent de voir ce qu’elles nourrissent, et les gouvernants qui préfèrent l’ordre à la justice, qui en font une fatalité.

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