L’initiative de Raja Ben Slama : Un pas dans la bonne direction

Récemment, la professeure Raja Ben Slama, militante du mouvement de gauche, a lancé un appel à la raison. Elle affirme qu’il ne faut plus semer la haine contre les autres courants intellectuels et politiques, notamment islamistes, car cette hostilité persistante nuit gravement à l’instauration d’un climat favorable au progrès et à la démocratie. Elle appelle à ce qu’elle nomme un "Pacte de Démocratie" , fondé sur la reconnaissance mutuelle, le respect des différences et le dépassement des luttes idéologiques stériles.

Cet appel, aussi noble soit-il, intervient dans une période historique particulièrement délicate où plusieurs opposants ont été sévèrement condamnés. Ceci est dans un contexte d’absence d’action collective, de primauté des préoccupations individuelles quotidiennes et de détérioration des conditions sociales. S'ajoute à cela que ces tribunaux n'ont pas communiqué au public les éléments concrets des accusations, ce qui fait que de nombreux citoyens peinent à être convaincus de la légitimité de ces condamnations.

L’espace des libertés publiques, quant à lui, semble s’être restreint ces dernières années. Il est en fait incontestable que les marges d’expression, d’organisation et de contestation se sont réduites, alimentant un climat d’inquiétude et d’incertitude.

La professeure fait prendre à juste titre que le mouvement de gauche et laïque, en Tunisie, s’est souvent égaré dans de fausses luttes, détournant son attention de la construction réelle d’une démocratie.

Trop souvent, ces combats ont été menés au nom de postures idéologiques rigides, et non en fonction des besoins concrets du pays, partagés par la majorité. Cela a eu pour effet d’éloigner les citoyens de tout espoir de changement profond.

Je voudrais lui dire que tant que l'idéologie (cette part non scientifique du discours de tout genre) reste le principal cadre d’analyse et d’action, les mouvements politiques seront condamnés à l’échec, prisonniers de leur méthode logique de division et de paralysie. Il était évident, depuis longtemps, que l’élite intellectuelle avait abdiqué, que celle politique, dans sa majorité, agissait par pur opportunisme, et que l’élite économique n’avait pas intégré réellement le projet démocratique, comme l'avait fait la bourgeoisie le lendemain de la Révolution française en procédant à une autocritique comme l'a fait remarquer Marx.

Les références historiques du marxisme, notamment chez Staline, Trotski ou Mao, ont souvent théorisé et mis en œuvre une lutte idéologique qui justifiait l’élimination symbolique, voire physique, de l’ennemi de classe ou du rival politique. Martha Harnecker, dans son "Principes élémentaires de philosophie marxiste" et ses travaux sur le matérialisme historique, a également repris cette idée de lutte idéologique structurante et inévitable. Mais ces conceptions, forgées dans le contexte des révolutions du 20è siècle, ne peuvent plus être transposées telles quelles dans notre présent. L’extermination du rival idéologique ou politique n’est pas seulement obsolète ; elle est aujourd’hui incompatible avec toute vision moderne, inclusive et démocratique du progrès.

Ce désengagement collectif des élites a préparé le terrain au rétrécissement des libertés et à la confiscation de l'avenir du pays. Reconnaître cela ne signifie pas renoncer à l’espoir, mais comprendre que toute refondation démocratique passe par une rupture claire avec les logiques d’exclusion et de polarisation idéologique.

L’initiative de cette universitaire est précieuse. Elle marque un pas dans la bonne direction, mais elle reste insuffisante si elle ne s’accompagne pas d’un sursaut collectif. En fait, tant que les partis politiques ne s’y rallient pas ouvertement par des déclarations claires, mettant fin aux luttes de pouvoir à courte vue, cet appel risque de rester une lettre morte.

Le véritable ennemi principal n’est pas l’adversaire politique, mais bien le sous-développement, l’exclusion, l’ignorance. Le véritable objectif n’est pas la disparition de l’autre, mais l’avènement du progrès, de la justice et de la dignité pour tous.

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