La réflexion ci-dessous, délibérément dénuée de jargon technique (*), s’intéresse à une question d’une brûlante actualité, a savoir, comment inflation et dépenses publiques façonnent-elles la sécurité alimentaire lorsque les équilibres économiques vacillent ? En Tunisie, où le pouvoir d’achat est au cœur d’un débat social non-annoncé médiatiquement, nourri, cette analyse, offre un éclairage supplémentaire sur les limites concrètes de l’action publique dans un contexte marqué par la hausse des prix et l’instabilité.
Les résultats sont sans appel. Lorsqu’en Tunisie, l’inflation dépasse un seuil critique, situé autour de 7 %, son effet délétère sur la sécurité alimentaire s’accentue brutalement. Loin d’être un simple désagrément macroéconomique, la hausse des prix compromet alors, de manière tangible, la capacité des ménages à se nourrir dignement. A titre de comparaison, le Maroc, lui, semble présenter une résilience structurelle plus affirmée. La courbe y est plus douce, l’impact de l’inflation s’atténue au-delà d’un certain point, témoignant d’un tissu économique moins vulnérable.
Du côté des finances publiques, les enseignements sont tout aussi instructifs. En Tunisie, les subventions, notamment sur les produits de base, perdent progressivement – mais curieusement- de leur efficacité dès lors qu’elles excèdent 4 % du PIB. Au-delà de ce seuil, leur pouvoir protecteur s’érode, en particulier dans un climat de faible croissance et de tensions budgétaires. Plus le contexte se détériore, moins ces instruments traditionnels, pourtant coûteux, parviennent à produire leurs effets escomptés. L’extension des dépenses publiques ou les baisses du taux directeur à la veille d’échéances politiques ne déclenchent pas un retour différé de la manivelle (à la Nordhaus), mais un contrecoup quasi immédiat. Tout le reste, pour le dire sans détour, relève de la chimère.
Le Maroc n’échappe pas à cette logique de seuil. Au-delà de 3,5 % du PIB en subventions, l’effet bénéfique s’émousse, avertissant contre les dangers d’une politique budgétaire généreuse mais mal ciblée.
Les données tunisiennes des années 2018 à 2023 illustrent un autre constat frappant. Malgré plusieurs relèvements du taux directeur par la BCT, les effets sur l’inflation, le crédit et la demande ont produit des résultats loin d’être concluants. La chaîne de transmission monétaire s’est révélée quasi inopérante dans un climat empreint d’incertitude, où la confiance des ménages et des entreprises reste entamée, et où les rigidités structurelles freinent toute dynamique de relance.
Au final, ce graphique révèle des effets de seuil clairs et empiriquement robustes. Au-delà de certaines limites, les politiques économiques conventionnelles ne stabilisent plus, elles déstabilisent. L’inflation devient – sur toute la période de l’étude- indomptable, les dépenses inefficaces, les ajustements monétaires inopérants. Continuer à appliquer les mêmes recettes dans des contextes fondamentalement différents revient à prescrire un remède sans prêter attention au diagnostic.
Dès lors, il devient impératif de réformer l’action économique en profondeur :cibler plus finement les subventions, assouplir et rendre plus transparentes les régulations des prix, mais surtout, réconcilier politiques monétaire et budgétaire dans une stratégie cohérente et coordonnée. Dans le climat actuel, chargé d’incertitudes et de tensions sociales, ces ajustements ne relèvent pas du luxe, mais de la nécessité.
Trop souvent, les effets non linéaires des politiques économiques sont ignorés, et leur mise en œuvre isolée, sans coordination, réduit leur portée. Pourtant, en période de vulnérabilité aiguë, ni l’augmentation des dépenses ni les manipulations des taux d’intérêt ne peuvent, à elles seules, rétablir l’équilibre. Mal pensées, elles peuvent même précipiter le désordre qu’elles cherchent à contenir.
(*) Jargon Technique, i.e., Modèle Macro économétrique, Processus Stochastique, Filtrage, Probabilité de Transition, Test de robustesse,..