Pourquoi les prix de l’huile d’olive chutent quand le marché mondial passe par deux phases de flambée (jusqu'à mi-2024) et une baisse jusqu'à fin-2025 ?
Ce phénomène contre-intuitif trouve son explication dans une combinaison complexe de facteurs structurels profondément ancrés dans la filière tunisienne et de dynamiques conjoncturelles de court terme.
(A) Facteurs Conjoncturels de Court Terme et Fluctuations Récentes.
La situation est rendue plus complexe par les fluctuations rapides du marché mondial, qui ont récemment introduit une nouvelle dynamique, à savoir la baisse généralisée des prix. Là, 3 mécanismes sont a souligner :
(1) Le Retour à la Baisse des Prix Mondiaux.
En fait, après avoir atteint des pics de près de 1 000 €/100 kg en juillet 2024, les prix mondiaux ont amorcé une nette tendance baissière. En février 2025, ils étaient redescendus à environ 6,50 €/100 kg. Cette correction s'explique par une amélioration notable des récoltes 2024/2025 dans le bassin méditerranéen (Espagne, Tunisie, Grèce) après deux années de sécheresse. L'augmentation de l'offre, combinée à une baisse de la consommation mondiale due aux prix records précédents, a exercé une pression à la baisse.
(2) Impact sur le Prix Local Tunisien.
Dans ce nouveau contexte, le "paradoxe" perd de son intensité, puisque les prix locaux tunisiens suivent désormais la tendance baissière mondiale. Le prix moyen à l'exportation de la Tunisie a chuté d'environ 50 % sur un an.
(3) Mesures de Politique Économique Locales.
Ici, le gouvernement tunisien, soucieux de la stabilité sociale et du pouvoir d'achat, a souvent pour priorité de garantir l'approvisionnement local à des prix abordables. Ces interventions peuvent parfois peser sur les prix offerts aux producteurs, pour éviter des flambées internes, même si cela n'empêche pas la répercussion de la baisse mondiale actuelle.
(B) Facteurs structurels du découplage entre les prix mondiaux et locaux.
Ces facteurs empêchent en fait la Tunisie de capter la valeur ajoutée de son produit d'excellence. 4 mécanismes structurels, dont :
(1) L'Exportation massive en vrac se présente comme une perte de valeur ajoutée.
En effet, l’obstacle majeur est le modèle d'exportation dominant. Plus de 80 % de l'huile d'olive tunisienne est exportée en vrac, principalement vers l'Union européenne (Italie et Espagne). Cette huile est ensuite raffinée, mélangée, conditionnée et vendue sous des marques étrangères.
(I) L'exportation en vrac est soumise à des contrats de gros à long terme, souvent négociés avant les pics de prix. Ces contrats fixent des prix bas. L'exportation conditionnée (en bouteilles labellisées) permettrait de vendre directement au consommateur final à un prix bien plus élevé, mais elle ne représente qu'une part minime (environ 13,6 %) des volumes tunisiens.
(II) La rareté mondiale a fait exploser les marges des conditionneurs et distributeurs européens, tandis que les producteurs tunisiens, liés par des engagements de vrac, n'ont pas bénéficié de cette manne.
(2) Le Manque de Notoriété et d'Image de Marque.
Bien que l'huile tunisienne soit reconnue pour sa qualité (notamment pour sa production biologique, dont la Tunisie est un leader mondial), elle souffre d'un déficit d'image de marque auprès du grand public international.
L'absence de campagnes de marketing nationales fortes et d'une stratégie de labellisation cohérente signifie que le produit tunisien n'est pas valorisé à son juste prix sur les étagères des supermarchés étrangers.
(3) Les Quotas d'Exportation et Barrières Tarifaires.
L'accès au marché crucial de l'UE est encadré par un quota annuel en franchise de droits de douane (environ 56 700 tonnes). Bien que ce quota ne soit souvent pas pleinement utilisé, il représente une barrière psychologique et logistique. Surtout, au-delà de ce quota, des taxes dissuasives s'appliquent, rendant l'exportation conditionnée difficile à grande échelle.
(4) Coûts de production élevés et vulnérabilité des agriculteurs.
Pour ceci les petits producteurs tunisiens font face à une augmentation constante des coûts de production (main-d'œuvre, engrais, eau) mais n'ont pas le pouvoir de négociation suffisant face aux grands exportateurs locaux ou aux acheteurs internationaux. Face à l'urgence de liquidités après la récolte, ils sont souvent contraints de vendre rapidement à bas prix.
Ceci me rappelle le mécanisme de transfert de valeur de la périphérie vers le centre de Samir Amin....