Le bonheur d'être bachelier....
C'est l'un des derniers rituels qui procure encore beaucoup de bonheur à la famille tunisienne….Le bac était un précieux sésame jadis, l'est-il encore aujourd'hui ???J'en doute, mais la coutume veut que l'on célèbre ce challenge, la fin d'un parcours et le début d'un autre qui sera ponctué lui-aussi par un diplôme dont l'importance est tributaire de l'orientation, de la moyenne obtenue au bac, de l'intérêt que réserve le bachelier à telle ou telle branche…C'est une roulette russe sauf pour ceux qui ont les moyens pour inscrire les heureux lauréats là où ils veulent , on le sait, l'oseille, la thune….ouvre souvent les portes du paradis….
Pour les moins privilégiés, les aléas et les impondérables décideront de leur sort indépendamment de leur vocation et de leur talent….
Comme le bac est une affaire de famille, l'orientation l'est aussi, si bien que les parents imposent souvent leur volonté aux bacheliers-bachelières…Si la moyenne obtenue l'autorise, chacun y va avec son caprice: médecin, ingénieur, pharmacien, plus le score est bon, plus l'ambition grandit, plus le choix du bachelier devient tributaire des caprices de la tribu….
Bref, le bonheur d'être bachelier est le commencement d'un long parcours semé d'embûches, l'essentiel est de ne pas s'arrêter en si bon chemin….
Le sésame !!!
Décrocher son bac jadis était un exploit et l'heureux lauréat avait droit à tous les louanges, c'était le précieux sésame pour accéder à l'université, choisir sa filière et entrer ensuite de plain-pied dans le monde du travail….
Ledit ascenseur social n'était pas encore en panne, l'administration tunisienne manquait encore d'effectif, le secteur privé, encore embryonnaire, recrutait à tour de bras et avec son diplôme en poche, on pouvait larguer les amarres et choisir son cap.
Mais c'était autrefois… Aujourd'hui, le bac n'est plus ce qu'il était jadis, on a certes gardé la coutume de le fêter comme il se doit, mais hormis ce côté festif, il n'a plus son aura d'antan…L'exploit ne consiste pas à réussir, mais à figurer parmi les meilleurs pour espérer s'accrocher au bon wagon, d'une bonne filière qui assure encore le gîte et le couvert…
L'exploit consiste à être premier de cordée afin de s'agripper à la bouée de sauvetage des métiers d'avenir …Au cas où les postulants ne seraient pas nombreux et que la compétition ne serait pas rude….
Si d'aventure vous figurez en queue de peloton…vous serez le dernier servi…autant dire…vous aurez droit à des nèfles et votre peine sera plus grande que cette euphorie éphémère que vous avez ressentie à l'annonce de votre réussite au bac .
Pour un qui réussit mille qui meurent dans l'indifférence….
Je savais qu'on allait nous raconter une belle histoire, une success story , du genre qui vous fait pleurer à chaudes larmes, de l'émotionnel pour que vous ayez moins de remords et pour que vous ayez la conscience tranquille.
On a le choix entre la jeune fille rurale qui parcourt pieds nus des dizaines de kilomètres par jour pour rejoindre son lycée et qui a obtenu son bac avec mention très honorable alors que son établissement n'est doté ni de salles de classe dignes de ce nom, ni de laboratoires ni des commodités facilitant l'accès au savoir.
Ou encore ce jeune homme issu d'un milieu pauvre et qui, malgré les aléas et les impondérables, a relevé le défi et s'est mis martel en tête pour décrocher la timbale….
Oui, les miracles existent mais puisque ce sont des miracles, ils ne constituent pas la règle, mais l'exception et l'exception ne doit pas nous égarer et nous cacher la face obscure de la lune.
Pour un miraculé qui réussit, des milliers abandonnent l'école avec le sentiment d'être des laissés-pour -compte…Ils grandiront avec ce goût amer et acide de l'échec, et grandiront avec eux frustration et acrimonie.