Le dur, très dur apprentissage de la démocratie…

Se délester du lourd passif colonial et postcolonial caractérisé par un pillage systématique des ressources du pays et de ses richesses, par deux régimes dictatoriaux et par des politiques économiques qui ont favorisé l’émergence d’une bourgeoisie prédatrice et mafieuse au détriment de larges pans de la société tunisienne victimes des inégalités sociales et régionales ayant débouché sur le soulèvement populaire du 14 Janvier 2011, relève de la niaiserie.

Dix ans de luttes féroces entre un ancien en embuscade, logé dans les interstices de l’Etat et de ses périphéries, dans ses antichambres économiques, médiatiques et culturelles et un nouveau qui peine à dissimuler ses maladresses, qui est tiraillé entre compromis et identité révolutionnaire et démocratique…ont fini par installer un climat délétère et de suspicion générale , attisé par le feu roulant de la démagogie, du populisme et du fascisme.

De querelles savamment orchestrées en accalmies douteuses, en passant par des crises institutionnelles provoquées par la contrerévolution et ses nervis, l’issue était presque inévitable : le dernier avatar de l’ancien régime fut Kaïs Saied, colifichet ambulant d’un populisme aux accointances louches et qui a profité de la lassitude du peuple tunisien, de ses divisons et de son immaturité pour opérer son holdup un certain 25 juillet 2022 , se faisant passer pour le sauveur, l’énième, de la nation, d’autant plus que cet illustre inconnu, cet universitaire anonyme, s’est bâti une réputation d’un homme intègre et rigoureusement incorruptible…

Au lendemain de ce sinistre 25 juillet, on avait la certitude que c’était un coup d’Etat et que le scénario, même s’il n’avait pas les accents tragiques de son prédécesseur égyptien, était cautionné par les monarchies du golfe et leur larbin égyptien.

La résistance commença à s’organiser , timidement d’abord, car le putschiste avait le vent en poupe et surfait à son avantage sur les colères et déceptions populaires , avant de prendre de la consistance et de la robustesse en septembre 2022 quand le projet présidentiel commençait à prendre des contours plus clairs et quand l’évidence putschiste s’imposa progressivement à une majorité des Tunisiens, bien qu’elle ne suscitât pas une forte réaction de rejet.

La classe politique demeurait divisée quant à la stratégie à adopter pour préserver les acquis de la transition démocratique dont notamment la Constitution de 2014 et tout ce qui en découla comme institutions démocratiques foulées aux pieds par un dictateur en devenir soutenu par les cerbères de l’ancien régime.

La confusion était telle que le dictateur agissait presque en territoire conquis , renforçant ses pouvoirs et s’emparant de l’Etat sans que la résistance fût à la hauteur de ce camouflet. Léthargie coupable ou renoncement lâche et pleutre ???

Ceux et celles qui comptent sur un miracle pour déboulonner le putschiste doivent descendre de leur petit nuage rose et renoncer un tant soit peu à leur passivité chronique...Croiser le fer avec une dictature naissante nécessite de l'engagement, de la détermination et une plus grande implication....La mobilisation de la rue doit être accompagnée d'une stratégie plus incisive pour expliquer surtout aux jeunes que ce combat est le leur s'ils veulent vivre dans un pays démocratique et s'ils ne veulent pas attendre comme leurs parents vingt ou trente ans pour se dégager de l'étreinte d'un régime scélérat et policier .

Le contraste est frappant entre l'apathie d'une jeunesse peu , très peu concernée par l'avenir du pays et l'engagement de cinquantenaire qui n'ont jamais renoncé à l'idéal démocratique...Étonnant et surprenant que ces jeunes aient si peu de culture démocratique, ou tout bonnement aient si peu de culture , et qu'ils se laissent aspirer par la médiocrité et par l'insignifiance, terreau propice au développement du discours populiste et ignare.

Il y a quelque chose dont on n'a pas bien mesuré l'importance et l'impact : ce quelque chose de palpable en Tunisie...la jachère intellectuelle... imputable en partie au régime analphabète de Ben Ali, aux médias et à une décennie marquée beaucoup plus par les faux clivages et les faux débats que par un vrai apprentissage de la démocratie....

Ce que nous vivons aujourd'hui est probablement anachronique, probablement inadapté au 21ème siècle, mais nous le vivons parce que nous sommes en retard d'un siècle sur les sociétés évoluées et modernes et que nous sommes en train de régresser dans l'allégresse générale et dans une espèce d'indifférence cynique...Ceux et celles qui étaient dans la rue aujourd'hui , l'étaient par conviction, indépendamment de leur nombre, ils étaient conscients qu'il fallait se battre pour préserver un soupçon de démocratie et de dignité , il ne manquerait plus qu'on leur reproche de se battre pour la liberté, ce serait le comble de la bêtise humaine.

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