Tunisie : une souveraineté sous tutelle

Les duperies ne font plus recette. Ni les vociférations de Kaïs Saied, ni les maigres manifestations de ses partisans dénonçant une prétendue ingérence étrangère. Le recours systématique au discours sur la souveraineté nationale, brandi comme un bouclier contre toute critique de la dérive autoritaire du régime, relève désormais d’une stratégie usée jusqu’à la corde. Cette rhétorique, répétée à l’envi, dissimule mal les renoncements à une souveraineté effective — notamment dans des domaines clés tels que ceux de la politique étrangère, de la sécurité et de la gestion de l’information.


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Aujourd’hui, nombreux sont ceux, militant-e-s comme simples citoyen-ne-s, à s’interroger : en se faisant l’obligé d’un pouvoir aussi autoritaire que le sien -à savoir celui d’Abdelmadjid Tebboune - Kaïs Saied n’a-t-il pas, de fait, troqué l’indépendance du pays contre sa propre survie politique?

Depuis 2021, l’alignement diplomatique de la Tunisie sur l’Algérie est devenu manifeste. La plupart des déclarations conjointes des deux présidents affichent une convergence quasi automatique sur des dossiers régionaux sensibles tels que la crise libyenne, la question du Sahara, les enjeux sécuritaires au Sahel. Le silence des autorités tunisiennes face à la répression ayant touché des figures emblématiques du dernier mouvement de protestation en Algérie (hirak) est révélateur de cette inféodation. Avec pour preuve la plus révoltante, leur mutisme total face aux pratiques brutales de l’armée et de la gendarmerie algériennes à l’encontre des migrant·es subsahariens, refoulés systématiquement vers le territoire tunisien. L’indépendance diplomatique tunisienne, durement conquise, semble désormais reléguée au rang des souvenirs.

Plus préoccupant encore: cet alignement ne s’arrête pas à la diplomatie. Il s'accompagne d'un soutien logistique et financier opaque. Alger a débloqué, en 2022 et 2023, des aides financières d’urgence à la Tunisie, sans aucune transparence. Selon certaines sources, ces fonds auraient permis de conjurer toute explosion sociale sans pour autant en résoudre les causes. Cette dépendance financière va de pair avec une stratégie d’ingérence assumée.

Des campagnes de désinformation ciblées, soupçonnées d’avoir été orchestrées par les services de sécurité algériens et relayées par des influenceurs pro-Kaïs Saied, ont consisté à discréditer les voix dissidentes tunisiennes, à salir les journalistes indépendants et à diaboliser les migrant·es. Des comptes algériens reprennent en masse les discours du président tunisien, visant à décrédibiliser les ONG et les opposants en les qualifiant de « traîtres » ou d’« agents de l’étranger ».

Plus grave encore : plusieurs témoignages recueillis auprès de la population d’El Mazzouna (gouvernorat de Sidi Bouzid) font état de la présence d’agents de sécurité algériens — en civil, arborant des brassards de la gendarmerie nationale — lors des opérations de répression menées contre des manifestants en avril 2025. Ces allégations, d’une extrême gravité, appellent une enquête rigoureuse. Le silence total des autorités tunisiennes ne fait que renforcer les soupçons.

Il ne s’agit plus ici de fait isolé ou d’une coopération sécuritaire mal encadrée. La Tunisie sous Kaïs Saied semble avoir basculé dans une logique de dépendance structurelle. Isolé sur la scène internationale, en rupture ou en froid avec les bailleurs de fonds traditionnels, affaibli par le délitement économique, le régime mise sur une alliance avec Alger vue comme une planche de salut. Mais ce pacte a un prix : l’autonomie stratégique (ou la souveraineté nationale), la transparence et les libertés fondamentales.

La signature du mémorandum entre la Tunisie et l’Union européenne en juillet 2023 a consacré la transformation de la Tunisie en gardienne des frontières extérieures de l’UE, au mépris des droits fondamentaux des personnes migrantes et de la souveraineté nationale. Depuis, les autorités tunisiennes acceptent sans broncher les expulsions massives de leurs ressortissants en situation irrégulière, souvent opérées dans des conditions humiliantes, poussant certains à des réactions désespérées. Dans ce contexte, la proposition de la Commission européenne d’inscrire la Tunisie sur la liste des « pays sûrs » n’est ni plus ni moins qu’une preuve de complicité avec un régime autoritaire. Elle entérine un marchandage cynique où les droits humains sont sacrifiés en échange d’un soutien politique et financier destiné à maintenir un pouvoir de plus en plus répressif.

La Tunisie d’aujourd’hui glisse insidieusement vers une forme de tutelle non déclarée, imposée non pas par une force coloniale étrangère mais par un régime voisin ayant des intérêts sécuritaires communs avec le pouvoir en place. Le pays n’est plus qu’un pion sur un échiquier géopolitique dominé par des logiques autoritaires et l’écrasement des mouvements sociaux. Cette dérive constitue une trahison de l’esprit de la révolution de 2011, fondée sur la dignité, la souveraineté populaire et la justice.

Ne restons pas silencieux face à cette invocation mensongère qui dissimule mal une politique de soumission. Nous appelons à dénoncer les ingérences étrangères — qu’elles s’imposent par la force ou qu’elles avancent masquées parées des pseudo-habits de l’amitié. La Tunisie n’est pas un pion. Sa souveraineté comme la dignité de son peuple ne sont pas négociables.

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