Ce 25 juillet, Tunis n’a pas fêté la République. Elle a compté les absents, les absents de chair et de liberté, les absents qu’on enferme pour leurs mots, pour leurs idées, pour avoir cru que la République était une promesse sérieuse.
La ville n’a pas chanté. Elle a contenu son souffle, retenu ses larmes, murmurant des noms : ceux de Souab, de Dahmani, et des autres que l’on voudrait effacer.
Quatre années après le coup d’état du 25 juillet 2021, c’est l’ombre d’un pouvoir solitaire qui plane sur le pays, et le silence obstiné des rues n’a fait que confirmer cette vérité nue : la République, on l’a bâillonnée.
La veille, deux appels à manifester ont circulé, comme deux pulsations contraires dans un même cœur désorienté. La « Chabaka » a hésité, puis renoncé. Le Front de salut a fini par rejoindre l’appel des familles et des proches des détenus politiques et d’opinion. Ceux-ci n’ont pas attendu. Ils ont marché, sans drapeau, sans artifice, sans calcul. Ils ont marché à visage découvert, en plein jour, dans cette ville quadrillée, pour dire simplement : justice. Liberté.
Pendant qu’eux témoignaient, d’autres simulaient. Sur une autre place, une autre scène s’installait. Un théâtre de pacotille, à l’image du régime : vide, raide, désincarné. Des hommes et des femmes - peu nombreux- déplacés à la hâte, entassés sans entrain, chargés de réciter les louanges d’un chef que nul ne contredit. Les slogans ? Des refrains sans saveur ressassés dans des micros. Les regards ? Vides. Les gestes ? Tendus. Et pour combler l’absence d’adhésion, on a fait tonner les haut-parleurs, lancé du mezoued, invité à danser. On célébrait la République comme on maquille un vide avec un bal populaire. La République transformée en noce de quartier.
Mais le réel ne danse pas. Il tremble. Il résiste. Et la vérité s’impose : une part des manifestants n’était pas là par conviction. On les a amenés. On leur a promis de quoi tenir, ou juste un aller-retour en bus. On les a utilisés. On a exploité leur misère, leur solitude, leur exclusion. On a travesti leur présence en soutien. Le pouvoir, quand il ne séduit plus, enrôle.
Là où les familles marchaient pour extirper la liberté du silence, les fausses troupes du régime scandaient, sous l’œil vigilant, des formules creuses à la gloire de Kaïs Saied.
Ce n’est pas une caricature. C’est un tableau fidèle. Le pouvoir convoque. La société civile s’élève. Le pouvoir encadre. La société s’indigne. Le pouvoir redoute ce qu’il ne maîtrise pas : l’élan vrai, la foule libre.
Ce jour-là, celles et ceux qui se sont rassemblés ont donné un signe en rappelant que la République ne se mesure ni aux décrets ni aux décorations. Elle se mesure à l’exigence que des citoyennes et des citoyens, même seuls, opposent au mensonge institutionnalisé.
Il faut cesser de tourner en rond autour des ruines. Le pouvoir concentre, écrase, réduit. Mais la résignation n’est pas une politique. Ce qu’il faut désormais, c’est une volonté partagée, même fragile. Un socle commun, même incomplet.
Trois points suffisent à tracer un chemin :
• Refuser le pouvoir absolu ;
• Défendre les droits fondamentaux ;
• Rétablir des contre-pouvoirs.
Mieux vaut avancer avec les moyens du bord que rester cloué dans le dépit. Ce que redoute le pouvoir, ce n’est pas la critique. C’est l’union de celles et ceux qui refusent de se taire.
Le 25 juillet 2025 ne sera pas un souvenir glorieux. Mais il laissera une empreinte. Celle d’un peuple qui ne se reconnaît plus dans ses faux représentants. Celle d’une société qui choisit, vaille que vaille, d’avancer, même en ordre dispersé.
La République ne se quémande pas. Elle se construit. Même dans l’urgence. Même dans l’inconfort. Elle ressurgira par celles et ceux qui, au milieu du tumulte, auront décidé de faire front. Ensemble. Malgré tout.