L’histoire ne peut se répéter sans devenir une farce…

Le bâtonnier Chawki Tabib a été mis en résidence surveillée depuis le 20 août 2021 à 23 h. Le même jour, le siège de l’INLUCC (Instance nationale de lutte contre la corruption) a été mis sous contrôle de la police et son personnel évacué. Son secrétaire général, Anouar Ben Hassen a été relevé de ses fonctions par décret présidentiel. Par conséquent, l’ensemble des documents couverts par le secret ne le sont plus (près de 40.000 dossiers, plus de 200.000 déclarations de biens et patrimoines ainsi que la liste de quelques centaines de lanceurs d’alerte) au mépris de toute sécurité juridique.

C’est en vertu d’un décret régissant l’état d’urgence que cette mesure liberticide et apriori sans fondement a été notifiée à Me Tabib par des agents dépêchés à son domicile sans aucune notification écrite. Plusieurs autres personnalités ont connu le même sort : députés, anciens ministres, juges…

Ce décret remonte à une période sombre de l’histoire de la Tunisie. Il a été promulgué le 26 janvier 1978, jour de la grève générale appelée par la centrale syndicale l’UGTT en vue de mater la résistance syndicale suite à la répression violente connue sous le nom du “jeudi noir” où l’armée a été appelée à tirer à balles réelles contre les manifestants.

L’état d’urgence a été renouvelé régulièrement depuis 2011 avec pour motif de mobiliser les forces de sécurité pour faire face aux menaces notamment terroristes. Aucune réforme n’a été engagée pour modifier ce texte liberticide et arbitraire qui donne un pouvoir discrétionnaire et sans limites à la police en dehors de tout contrôle ou mandat judiciaire.

Il semble être utilisé aujourd’hui contre des personnes considérées comme adversaires, voire pire, comme ennemies par le pouvoir en place. Me Chawki Tabib a été président de l’instance de lutte contre la corruption (INLUCC) où il a fait un travail considérable. Il a été limogé brutalement par Elyes Fakhfakh, chef du gouvernement à l’époque, le 20 août 2020 qui, visiblement, ne lui a pas pardonné son audition devant la commission d’enquête du parlement au sujet de l’affaire de conflit d’intérêt dans laquelle il s’était embourbé, d'avoir transmis son dossier au pôle financier de la justice et son non-respect de la procédure relative à la déclaration de ses biens et de son patrimoine auprès de l’INLUCC. Elyes Fakhfakh qui a été nommé par Kaïs Saied, avait été contraint à la démission.

Ce qui est arrivé à Me Chawki Tabib est un précédent grave annonciateur de dérives inquiétantes. Surtout suite aux mesures exceptionnelles prises par le chef de l’Etat instaurant l’état d’exception et qui lui permet de concentrer tous les pouvoirs. La Constitution de 2014 étant suspendue de fait, on attend la proclamation dans les jours prochains de décisions pouvant aller jusqu’à la suspension de toutes les institutions y compris judiciaires et leur remplacement par des instances provisoires dirigées par des personnes nommées directement par le Président de la République.

Les craintes sont encore plus vives quand on constate les attaques en règle dans les médias et réseaux sociaux orchestrées par les partisans de Kaïs Saied contre celles où ceux qui expriment une opinion critique voire tout simplement différente.

Le Président Kaïs Saied ira-t-il, dans son rejet de tout corps intermédiaire qu’il soit parti politique qu’il condamne à l’hégémonie ou associations injustement accusées d’être à la solde de l’étranger, jusqu’à sauter le pas en abrogeant les deux décrets-lois régissant et les associations et les partis politiques adoptés en 2011 et qui sont les seuls textes réellement libéraux (même s’ils ont besoin l’un et l’autre d’être mis à jour) ?

Il faut le craindre quand on voit le cours que connaît notre pays. Il faut cependant croire que l’histoire ne peut se répéter sans devenir une farce : nous avons résisté à la tragédie de la privation des libertés pendant la période d’avant 2011, nous continuerons à nous battre aujourd’hui et demain pour défendre nos libertés et nos droits.

Que le président Kaïs Saied, se considérant aujourd'hui tout puissant, prenne garde. Ecartant du pouvoir Ennahdha et ses alliés qui ont mené le pays à la situation dramatique qu’il connaît, il ne doit pas pour autant se sentir libre et soutenu pour donner le coup de grâce à la jeune démocratie à bout de souffle en violant allègrement et impunément les droits de l’homme.

Sa toute-puissance actuelle ne pourra résister longtemps à la détermination du peuple et de ses forces vives à vouloir demeurer dans leur pays des citoyens libres, en sécurité et fiers d’être Tunisien(e)s.

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