Mondher Ounissi et les autres : la stratégie du supplice prolongé

Le cas du professeur Mondher Ounissi, médecin et universitaire, dirigeant d’Ennahdha résume à lui seul la logique de la répression mise en place en Tunisie. Détenu depuis plus de deux ans dans le cadre d’affaires politiques montées de toutes pièces, il a récemment subi une agression physique et verbale grave de la part d’un agent de la prison civile de la Mornaguia, après avoir refusé d’être transporté dans un fourgon de transfert dénoncé depuis longtemps par les détenus comme une véritable « voiture de torture ».

Son épouse, dans une vidéo, a dénoncé « une atteinte flagrante à la dignité humaine », rappelant que son mari, malade, avait servi son pays en première ligne durant la pandémie du COVID. Elle a condamné l’agression et exigé sa libération ainsi que l’ouverture d’une enquête indépendante.

Les faits sont accablants : violences répétées, refus de soins adaptés, absence de certificat médical malgré des blessures visibles, impunité totale des responsables. Tout porte à croire que le pouvoir entend le vouer à une lente agonie en prison.

Ce cas n’est pas isolé. Il illustre une stratégie plus large: faire « mourir à petit feu » les opposants politiques par l’usure, la violence et la privation, au-delà même de l’arrestation et de la détention arbitraires.

Les témoignages recueillis auprès des familles de détenus et de militants dressent un tableau inquiétant. Dans les prisons, des violences physiques, des humiliations psychologiques et des privations de soins sont rapportées. Les conditions de détention sont dégradantes.

Ces violences atteignent aussi leurs proches. L’objectif est clair : transformer chaque opposant en fardeau pour son entourage, isoler les victimes et briser les solidarités.

L’emprisonnement en Tunisie n’est plus seulement une sanction politique. Il est pensé comme une lente descente aux enfers. Résister, ce n’est plus seulement risquer la perte de liberté : c’est exposer ses proches à la ruine, à l’humiliation et à l’angoisse.

La peur ainsi installée devient intime, quotidienne. Elle s’ancre dans les corps et dans les familles. Plus efficace qu’une répression brutale, elle agit comme une dissuasion invisible.

Kaïs Saied veille à maquiller cette répression sous un vernis de légalité. Les procès, même absurdes, sont présentés comme « normaux ». Les détentions prolongées sont justifiées comme « conformes à la loi ». Les restrictions administratives (interdictions de voyager, saisies de fonds) sont décrétées au nom de la sécurité.

Mais la mécanique va plus loin encore : la justice est instrumentalisée pour prononcer des jugements insensés, assortis de peines lourdes et disproportionnées, qui condamnent certains prisonniers politiques à mourir en prison. Quelques exemples : Kamel Letaief, 66 ans de prison ; Khayem Turki, 48 ans ; Ali Larayedh, 34 ans ; Ayachi Zammal, 35 ans.

Derrière les murs, les opposants vieillissent — à l’image de Rached Ghannouchi, 84 ans —, dépérissent, privés de soins nécessaires et d’espoir. La peine judiciaire se transforme en peine biologique : attendre que la maladie, l’usure et l’isolement achèvent ce que la répression brutale n’ose pas accomplir au grand jour.

Face à cette cruauté froide et méthodique, le silence n’est plus permis. Laisser mourir à petit feu des prisonniers politiques, c’est accepter que le droit, la justice et la dignité humaine soient sacrifiés au nom de la haine et de la vengeance.

Il faut rompre l’isolement des détenus, soutenir leurs familles, documenter chaque abus, internationaliser la lutte, exiger des sanctions ciblées contre les responsables.

Il faut rappeler que la torture et les mauvais traitements ne se prescrivent pas, que chaque responsable de ces crimes répondra tôt ou tard devant la justice.

La stratégie de Kaïs Saied repose sur le silence, la résignation et l’invisibilité. Mais chaque acte de cruauté prolongée qu’il inflige fabrique une mémoire des injustices qui se retournera immanquablement contre lui et nourrira la résistance

« Mourir à petit feu » n’est pas une fatalité. C’est une méthode qui doit être déjouée par la solidarité, la mémoire et la mobilisation.

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