Alors que les Etats-Unis d'Amérique ont pris conscience du fardeau stratégique et moral que représente pour eux une Europe de plus en plus vieille et décadente moralement et économiquement avec, un délire belliciste suicidaire, du moment que les véritables enjeux se dessinent désormais dans la zone Asie-Pacifique, et qu’un nouveau Yalta avec une reconfiguration géostratégique et des zones d’influence se profile à l'horizon, la Tunisie se trouve confrontée à de nombreux défis depuis les errements de sa révolution de la liberté et de la dignité, auxquels s'ajoutent les prémices de naufrage géostratégique et économique de son principal partenaire européen avec lequel elle a conclu de nombreux accords dont le dernier qualifié de mémorandum d’entente sur un partenariat stratégique et global le 16 juillet 2023.
Outre le rétrécissement de l'espace géostratégique de la Tunisie dans la région maghrébine tant en raison de l’abandon de la politique traditionnelle d'impartialité positive sur l’affaire du Sahara occidental que du naufrage du voisin libyen, l’espace africain a été chahuté par des positions et déclarations tunisiennes sur la vague migratoire subsaharienne et un désintérêt pour les réunions et les questions continentales.
En même temps, le maximalisme prôné au sujet de la cause palestinienne a fait sortir la Tunisie de la zone de confort relatif que lui procurait le consensus arabe et la positionne paradoxalement dans la région Moyen Orient-Afrique du Nord “MENA” dans un front du refus qui se marginalise de jour en jour et fond comme de la neige sous le soleil ardent du Sahara.
Quant à l'Europe, en dépit du mémoire d’entente de juillet 2023, l'atmosphère d'incompréhension s’alourdit de jour en jour et les quelques visites à un niveau gouvernemental se limitent à la question migratoire et au rôle de la Tunisie dans la protection des frontières européennes. Le dialogue politique tant à Bruxelles qu'à Strasbourg et dans les principales capitales européennes, semble au point mort avec la paralysie du conseil d’association depuis 2019 en dépit de sa fréquence annuelle convenue entre la Tunisie et l’Union Européenne.
Quant aux relations avec le partenaire classique américain, après une période de négligence et des relents d'animosité au sein de la chambre des représentants et du Sénat, la nomination pour la première fois d’un ambassadeur politique (Bill “Bilel” Bazzi), proche du président Trump, d’origine libanaise et de confession chiite, peut se prêter à toute sorte d'interprétations. Toutefois, dans l’attente de son audition de confirmation par le Sénat et l’ordre de mission qui lui sera donné par le législatif américain, il suffit de relever ce qui semble être une méthode chère au président Trump qui est de nommer un émissaire proche du pays sur lequel il compte exercer une attention personnelle et des pressions qui selon le tempérament de Trump peuvent être cassantes et brutales.
La Russie et la Chine, conscientes des nouvelles réalités géostratégiques, recentrent leurs priorités sur l’Europe pour la Russie et la région Asie-Pacifique pour la Chine qui se prépare à une exacerbation de l'adversité américaine en commençant par une guerre tarifaire avec un potentiel non négligeable de dérapage militaire.
Le lâchage sans états d'âme par la Russie du régime syrien et des bases stratégiques à Tartous et Hmeimim donne des sueurs froides à ses clients dans le monde arabe et notre voisinage immédiat et devrait être pris comme un avant-goût du nouveau Yalta qui se profile à l'horizon.
Avec l'Inde, l'autre géant asiatique et pays fondateur du BRICS, en plus d'être un partenaire et client traditionnel de la Tunisie en engrais chimiques, la coopération bilatérale semble au ralenti avec un projet de jumelage entre le gouvernorat de l’Ariana et l’état de Karnataka en hibernation.
L’état de Karnataka (69 millions d’habitants) a pour capitale Bangalore, le vivier technologique de l’Inde avec son plus grand pôle technologique, des filiales opérationnelles des plus grandes entreprises mondiales, en plus du siège de l’ISRO, l’agence spatiale indienne qui a envoyé une navette spatiale sur la lune en août 2023. Je me rappelle que lors d’une visite à ISRO en 2004, son directeur m’avait confié que son agence prévoyait d’envoyer une navette sur la lune à l'horizon 2024.
Autant d'opportunités de dialogue et coopération gagnant-gagnant insuffisamment explorées et concrétisées avec l’Inde et d’autres pays asiatiques comme la Corée du Sud et la Malaisie, d'Amérique latine et africains dénués de passé et d’arrière-pensées coloniaux et qui étaient il y a quelques décennies au même niveau de développement que la Tunisie.
Il n’est pas exagéré de penser qu’il est temps de donner à la coopération internationale stratégiquement étudiée et suivie sa part dans la solution des problèmes tunisiens et de la nécessité vitale d’adopter une politique de relance en dehors des sentiers battus des slogans idéologiques éculés, de l’endettement et de la solidarité/charité internationale qui, même entre frères, ne vient pas sans son lot d'arrière-pensées et de compromissions.
A l’occasion de la célébration du soixante neuvièmes anniversaires de son indépendance, il n’est pas excessif de penser que la Tunisie peut mieux faire et mérite très certainement mieux.