Journal d’un confiné (4ème épisode)

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Mardi 31 mars

Je constate aujourd’hui que les provisions commencent à s’amenuiser, je suis obligé de sortir. Il faut bien vivre même si on doit en mourir. Le virus qui guette à quelques centaines de mètres aura-t-il raison de moi cette fois ? Deux immeubles d’un quartier proche du nôtre sont mises en quarantaine forcée. Le monstre sournois n’a plus que quelques rues à parcourir. On se sentait relativement à l’abri lorsqu’il était signalé ailleurs, loin de notre quartier. La menace désormais se précise.

Cela fait un moment que les bavettes et les masques sont épuisés dans toutes les pharmacies. Qu’à cela ne tienne, je ne suis pas homme à en porter. La vue de tous ces hommes naïvement claquemurés derrière ces fragiles bastions me semble plutôt déprimante. J’ai toujours pensé que le pire moyen de combattre un danger est de céder à la panique.

Ne pas avoir peur. Ne pas avoir l’air d’avoir peur. Se démarquer de la psychose générale et promener dans la cité une image de sérénité. Les gens ne se rendent pas compte qu’ils se sapent mutuellement le moral avec leurs airs de fin du monde.

Où es-tu virus ? Tu ne m’auras pas. Je suis maintenant devant le supermarché. Il n’y a plus foule. Les gens ont fini par comprendre qu’il serait plus propre de mourir de faim que de maladie. Cinq ou six personnes devant moi attendent que l’agent de sécurité nouvellement improvisé auxiliaire de la santé mesure leur température avant de leur permettre d’entrer dans le supermarché.

Un appareil semblable à un pistolet à eau à la main, il le pointe à hauteur du front de chacun, appuie sur un bouton invisible et décide après un regard vers un cadran tout aussi invisible si tu as droit au paradis. J’avais une légère appréhension car ma température est d’habitude toujours supérieure à la moyenne décrétée par les autorités sanitaires du monde scientifique. Vais-je être déclaré indigne du paradis ?

La première personne passe sans encombre. Pistolet sur le front, appui, verdict. La deuxième passe aussi. Le virus est occupé ailleurs. Arrivent deux femmes. Le pistolet, galant comme le sont tous les pistolets, snobe la file des hommes et se tourne vers elles. Elles passent l’épreuve avec brio.

J’eus envie de leur crier un bravo larmoyant dans une poussée de fraternité humaine incontrôlable. Le pistolet revint vers nous. En joue, armez, feu. Le verdict tombe : les deux clients qui me précèdent sont admis. Je suis seul maintenant face à l’épreuve de vérité.

J’ai subi plus d’une intervention chirurgicale sans la moindre appréhension ; mais là, au moment de prendre ma température, j’avais le trac ! une multitude de « si » se bousculent dans ma tête en quelques secondes. Comme un condamné sur l’échafaud voit défiler devant ses yeux sa vie entière avant d’en être libéré par le coup du bourreau.

Le pistolet est collé à mon front. J’essaie de paraitre décontracté, je suis un bonhomme inoffensif qui ne représente un danger pour personne. Je guette les réactions du toubib en brodequins de fantassin. Est-ce une grimace qui trouble la symétrie de ses traits placides ? A ce moment-là, tu as la même impression qu’un paisible client qu’on accuse de tentative de vol parce qu’il passe trop de temps à circuler entre les rayons, incapable de retrouver ce qu’il recherche. Le pistolet quitte mon front…pour se coller à mon oreille.

J’étais le seul client à qui on réserve cette mesure particulière. Là, ça te donne l’impression d’être un extraterrestre. Et tout à coup, l’appareil anti-virus collé à mon oreille fait un bip qui me parut répercuté par la terre entière. C’est la fin !

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