Journal d’un confiné

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Aujourd’hui, mardi 24 mars. Je ne sais plus à combien de jours de confinement j’en suis. J’ai arrêté de compter des segments de temps qui se ressemblent : sans saveur, sans couleur, sans teneur. Je me suis réveillé près de treize heures. Un coup d’œil à la montre que j’ai pris l’habitude récente d’ôter avant de me coucher.

A quoi bon ? Chômage technique oblige. Deuxième coup d’œil pour le portable. Une centaine de notifications qui attendent. Les moyens de non-communication ne chôment pas. Facebook, Messenger, WhatsApp, Instagram, LinkedIn. Bon, j’aurai de la lecture devant le resto où je commande mon petit dej quotidiennement.

Vais-je m’habiller pour sortir ? Finalement non. Je prendrai la voiture pour aller au resto pourtant distant de trois cents mètres à peine. Un espace confiné comme l’habitacle d’une voiture vous procure un sentiment de sécurité inégalable. Me voilà devant le resto. Om me connait, je n’ai pas besoin de passer la commande, ils savent ce que je prends tous les jours.

Je regarde mon portable ; surtout des messages WhatsApp du groupe des Tunisiens pressés de quitter le pays et de rentrer. Suite au désaccord de la veille, le groupe s’est scindé en de multiples groupuscules. Il y a désormais des groupes aux noms intéressants pour une étude d’entomologie : « les tunisiens qui veulent partir mais attendent les salaires », « les tunisiens qui hésitent encore mais aimeraient bien qu’on décide pour eux », « les tunisiens qui exigent un vol direct et sont décidés à jeter en plein vol toute personne qui aurait le culot de tousser à bord », « les tunisiens qui se foutent de tous les groupes précités », « les tunisiens qui sont les meilleurs à mettre la charrue avant les bœufs »… j’ai pu apprécier les qualités littéraires de mes concitoyens en attendant d’être servi.

Il s’agit maintenant de faire le point. Les autorités locales voudraient bien nous voir partir mais elles ne peuvent pas nous le dire ouvertement sans beaucoup de circonlocutions diplomatiques. Sauf qu’il n’y a pas de vols commerciaux et que l’état tunisien n’a pas encore l’intention de rapatrier les résidents à l’étranger en raison de la situation sanitaire.

Le groupe qui s’est nommé « ceux qui veulent juste partir » estime qu’il faut faire pression sur l’ambassade, sur le ministre des Affaires étrangères et sur le Président de la république. Rien que ça ! Une logique aussi pointue me dépasse ! Les aéroports du monde entier sont fermés. Tous les pays hésitent à rapatrier leurs citoyens à l’étranger. Les espaces aériens sont fermés. Les structures d’accueil et de mise en quarantaine sont presque saturés. Mais ils veulent partir, rien que cela. Il est temps de manger mon sandwich.

De retour à la maison. La course a duré quinze minutes. J’ai touché la poignée de la portière de ma voiture, l’emballage du sandwich, le sandwich lui-même et la monnaie qui m’a été rendue.

Je regarde le flacon de désinfectant qui me fait de l’œil, l’air de bouder et de dire « Tu me négliges depuis hier, viens que je rafraichisse ta peau avec mes molécules ». je trouve que le flacon prend trop d’audace à mon égard. Son invitation me parait un peu osée. De la drague crue et effrontée, presque du racolage. Je résiste à la tentation comme un saint. « Non, tu ne m’auras pas aux sentiments ».

Je revois la liste des taches que j’ai soigneusement notées hier. Vais-je sortir encore ? Et puis non, c’est inutile. Il me reste encore la sauce d’hier, j’ai fait le plein de cigarettes et de café, placé une dizaine de bouquins sur la table de chevet, ma tablette pour jouer à wordament, allumé la télé pour avoir un peu d’ambiance et me voilà parti pour une veillée qui prendra fin aux aurores.

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