Momo (épisode 3)

Momo redoutait les jours de pluie. Ses parents n’avaient pas jugé nécessaire de lui acheter un parapluie comme ceux de ses camarades de classe, adaptés à leur taille, attirants avec leur tissu multicolore agrémenté de belles figures géométriques. Ils avaient peut-être raison vu que l’école n’était qu’à deux minutes de la maison. Mais, même la sage raison parentale n’arrivait pas à dissiper le sentiment d’infériorité, de dénuement et de honte chez le petit Momo.

Ces parapluies donnaient un genre aux gamins qui les portaient fièrement à bout de bras, de la classe et un air franchement aristocrate. Lui, il avait pour toute protection un curieux bonnet écharpe bleu ciel, tricoté à la main par une collègue de sa mère, surmonté d’un ridicule pompon, prolongé par deux longs bouts, qui lui donnait tout le temps l’air d’être un bébé ou un basset. Il détestait surtout le moment où, avant de le laisser partir, sa mère s’assurait que les bouts de l’infernal bonnet étaient bien noués autour de sa gorge et qu’il lui couvrait convenablement les oreilles.

-Il faut absolument faire attention aux oreilles, empêcher le vent et la pluie de s’y engouffrer, martelait la mère. Et la gorge aussi.

Lorsqu’elle était ainsi lancée, il ne manquait que le roulement du tambour pour se rendre compte qu’on était à l’armée. Il était indispensable de faire attention à la gorge, bien nouer le bonnet jusqu’à l’étouffement. Il était hors de question de tomber malade ou d’attraper une saloperie comme les autres gosses. On ne tombait pas malade dans la famille.

-Pourquoi ? demandait Momo, curieux.

-Il n’y a pas de pourquoi, c’est comme ça, seuls les adultes et les vieux tombent malades, les gosses non.

Malgré les recommandations maternelles parfaitement claires, le petit Momo faillit trois ou quatre fois à son devoir et causa quelques frayeurs à la famille, moins cruelles cependant que la blessure qu’il pensa avoir infligée à sa réputation. Il prit alors la décision solennelle de ne plus tomber malade même en refusant obstinément de garder noué son satané bonnet de basset autour de la gorge et continuer à le porter négligemment sur les épaules comme un fier cache-col, ce qui lui paraissait le summum de l’élégance.

Son père était toutefois moins tracassier que sa mère à propos des consignes de sécurité vestimentaire. Il ne faisait qu’une seule remarque lorsque Momo dénouait les bouts du bonnet aussitôt la porte franchie :

-Fais attention à ne pas le perdre, faisait-il négligemment.

-T’en fais pas papa, je le sens dès qu’il bouge un peu, à la moindre brise.

C’est ainsi qu’il le perdit un jour, en se promenant avec son père. Ils ne surent jamais si Momo l’avait oublié au café dans lequel ils se sont reposés ou si une brise plus perfide que les autres l’avait emporté malgré la légendaire vigilance dont Momo se gargarisait tout le temps. Son père lui fit des reproches de père : « Tu vas voir ce que ta mère dira quand elle apprendra que tu as perdu ton bonnet par ta négligence ». Et il ne fut plus question du bonnet jusqu’au retour à la maison. Pendant le chemin, Momo n’arrêtait pas de supputer le moment précis où sa mère découvrirait l’effroyable drame, priant pour que ce soit le plus tard possible. Mais, dès qu’elle leur ouvrit la porte, elle s’exclama :

-Mon dieu ! tu n’as plus ton bonnet ! tu vas encore tomber malade et nous ruiner en médicaments inutiles.

Ce fut l’unique oraison funèbre de l’objet de la honte de Momo. Il eut, malgré la peur de la juste colère maternelle, un sentiment de soulagement qu’il savait absolument coupable mais qui lui fit un grand bien. Il était enfin débarrassé de l’ignoble bonnet et il allait reprendre figure humaine.

Le jour d’après, sa mère lui fit porter deux chemises en plus des deux pulls superposés qui lui donnaient l’air d’un dindon.

-Et ne t’avise pas de déboutonner ta chemise sous aucun prétexte, sermonna-t-elle, sans un sourire.

-Mais maman ça me fait mal à la gorge et ça m’empêche de respirer, pleurnichait Momo.

-Tu respireras quand je te le dirai. En attendant tu garderas ces chemises boutonnées jusqu’au cou. Ne va pas me prendre une angine avant que je demande à ma collègue ce qu’elle a fait du bonnet rouge dont elle ne se sert pas.

Momo était mieux paré qu’un chevalier avant la bataille. Pas un seul défaut à la cuirasse. A part le visage et les mains, aucun centimètre de peau n’était sans défense. C’est que sa mère se connaissait mieux en défense que n’importe quel entraineur italien ! Au-dessus du tricot de corps réglementaire, il y avait un tricot en coton à manches courtes surmonté d’un léger pull également en coton à manches longues.

Ensuite venaient les deux chemises, l’une à manches courtes, l’autre à manches longues évidemment. Enfin, dernier rempart contre la nuisible fraicheur d’un climat méditerranéen, arrivaient les deux chandails aussi réglementaires que tout le reste. Sans forcer nullement son talent, Momo n’avait besoin de rien faire pour être une curiosité de fête foraine.

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