Comment je devins con...(4ème épisode)

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De ma deuxième année primaire, je n’ai que deux souvenirs. Je me rappelle juste que l’institutrice était de Sousse, qu’elle m’aimait bien puisque j’étais toujours autant le premier de la classe et qu’elle s’était bien marrée, le dernier jour des classes, au spectacle grotesque de mes pas de danse improvisés, pendant qu’elle battait la mesure sur son bureau.

Ce fut l’occasion pour mes camarades de classe de réaliser qu’en dépit de tout, j’étais, tout compte fait, aussi humain qu’eux, et qu’il m’arrivait moi aussi, d’être ridicule. Déjà que mon statut de surhomme avait été grandement compromis quelques minutes auparavant suite à un jeu de force qui m’opposa à l’un de mes camarades et dans lequel je fus battu à plate couture. Dure journée pour les génies…

Le deuxième souvenir est plutôt sanglant. L’institutrice était de mauvais poil ce jour-là. Elle passa sa colère sur une camarade de classe plutôt bête, la tirant par les cheveux depuis son pupitre jusqu’à la porte de la salle de classe, la rouant de coup, la blessant à la tête.

Je n’avais pas vraiment peur d’elle en dépit de la violence qu’elle mit à corriger une gamine qui n’avait pas d’autre tort que celui de ne pas avoir compris quelque chose dans la leçon. J’avais tout de même de la peine pour ma camarade à qui je n’avais jamais adressé la parole, les prodiges fricotant rarement avec les êtres inférieurs.

En réalité, les premiers de la classe ont d’autres problèmes, des soucis bien différents, des soucis de premiers de la classe. Quand les autres sont traumatisés par ce spectacle, redoutant de se retrouver dans la même situation, je ne ressentais que de la pitié et de la compassion pour la gamine exposée à tous les regards, dans une situation embarrassante.

Certain que cela ne pouvait pas m’arriver. J’avais la même attitude des riches qui, bien au chaud dans leur confort matériel, s’offrent un moment de tristesse vaguement cathartique, à la vue de la détresse d’autrui. Cela les aide à se sentir encore humains. C’est rassurant. J’étais un peu ce riche, sûr de son immunité, le cynisme toutefois en moins.

Mais la vie d’un élève n’est pas un long fleuve tranquille, fût-il un prodige. La chance a tourné l’année d’après. J’étais cependant bien parti pour confirmer ma réputation acquise après deux années sans labeur. La maitresse de français allant même jusqu’à m’offrir un sourire amusé en m’entendant l’interpeller, en pleine rue, dans un français impeccable.

Cette belle relation si bien engagée prit subitement fin lorsque ma famille dut quitter la capitale pour s’installer à Sfax. A vrai dire, je ne peux affirmer avec certitude, près de cinquante ans après, si j’étais alors heureux ou contrarié. Je n’allais pas regretter grand-monde vu que j’avais réellement peu d’amis.

D’ailleurs, si j’en avais eu, je ne m’en souviens plus. Il y avait certes la coquette qui était avec moi à la même classe en première année et pour les beaux yeux de qui j’ai même fait le clown pour attirer son attention, en pure perte. Mais elle était désormais dans une autre classe, pour le salut de ma réputation.

Nous nous installâmes donc à Sfax et mon père réussit à m’inscrire à la meilleure école de la ville, dirigée d’une main de fer par feue madame A., vieille dame inflexible crainte et respectée par tout le monde.

Une école vraiment select où il fallait montrer plus que patte blanche pour avoir l’honneur d’y être admis. Je fus d’ailleurs renvoyé de cette école après moins de deux ans pour l’ensemble de mon œuvre de délits en tous genres.

Je n’étais pourtant pas un mauvais élève, plutôt parmi les premiers malgré une concurrence des plus rudes. Pour la première fois peut-être j’avais trouvé à qui parler. Mes camarades n’avaient pas froid aux yeux, et ils n’étaient pas intimidés par ma réputation qu’ils ne connaissaient évidemment pas.

Après avoir été pendant deux ans le chouchou de toute mon école, je tombai subitement dans un anonymat castrateur. D’ailleurs c’est à cette époque que je fus confronté, pour la première fois de ma vie à l’injustice du racisme, avant que j’apprenne qu’il s’appelait racisme et que c’était quelque chose de très courant.

(A suivre)

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