Comment je devins con... (7ème épisode)

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Je fus donc chassé du paradis, non pour avoir embrassé la fille du baron derrière un paravent, mais pour de basses considérations sociales non moins stupides ni injustes. C’était quelques semaines avant les examens du troisième trimestre.

J’allais encore une fois devoir prendre le train en marche. A condition de trouver un convoyeur qui voulût bien de moi. J’avais l’âme et les capacités d’un archange et le dossier scolaire d’un paria pestiféré. « Grandes capacités, excellents résultats. Comportement turbulent, parfois totalement casse-cou ».

C’était mon cadeau d’adieu, inscrit par la main de la directrice dans mon livret scolaire. Essayez de trouver du travail avec un tel casier judiciaire.
Ce fut bien sûr à mon père que revint le devoir douloureux et déshonorant de trouver une nouvelle école pour son vaurien de fils. La honte de la famille !

Mais à cette époque à Sfax, il y avait peu de directeurs qui acceptassent de regarder plutôt la moitié pleine du verre. Le verdict de la directrice était le sceau de l’ignominie équivalant à une condamnation sans appel. Pendant plusieurs jours, mon père alla de refus en brimades, essuyant échec après échec. Le soir, avant de m’endormir, je m’imaginais déjà apprenti menuisier ou pâtissier chez l’un des artisans du voisinage.

Si on me laissait le choix, je choisirais certainement d’être apprenti cordonnier, à cause de l’odeur de la colle. En réalité, mon père n’en avait jamais parlé mais j’étais du genre à aimer prendre les devants et me préparer, toujours, au pire.

J’ai gardé, ma vie entière, cette philosophie : face à tout problème, avant de réfléchir à une solution quelconque, je commençais par envisager le pire et je me préparais alors en conséquence. Cela m’a beaucoup aidé à dédramatiser et ne pas m’abandonner au stress.

Selon toute apparence, le dieu des artisans ne voulait pas de moi. Mon père finit par trouver un directeur qui n’avait pas peur de courir le risque en invitant le loup à la bergerie. J’atterris donc à l’école de la Rue des Notaires, au cœur de la vieille ville, quelques semaines à peine avant les examens de fin d’année.

Mon nouveau directeur, s’appuyant sur l’avis de son collègue, était curieux de voir comment j’allais m’en tirer et si le double traumatisme du renvoi et de l’intégration à une nouvelle école allait perturber le bon élève que mon livret scolaire promettait.

Moi, j’étais à mille lieues de me douter de toutes les espérances et des angoisses que je suscitais chez les grands. Je me contentais d’être ce que j’étais, un éternel rêveur, et de faire ce que je savais faire, c’est-à-dire briller sans même le remarquer. Tout en donnant l’impression de m’ennuyer à mourir.

Ceux qui comme moi ont dû, pour une raison quelconque, changer d’école au milieu de l’année scolaire, doivent connaitre l’indélicate et inévitable séance d’appel à adhésion. Dès le premier jour, je reçus les émissaires de tous les belligérants, représentant l’ensemble des groupes et des groupuscules qui constituaient la classe. Et tous de me poser la question à laquelle je ne pouvais absolument pas répondre : « Tu es avec qui ? Avec nous ou avec les autres ? ».

Comment leur expliquer que je n’en avais rien à foutre des uns comme des autres ? Que je voulais juste faire mon temps tranquillement et me casser, comme un détenu condamné à une peine injuste et convaincu qu’il n’était nullement à sa place dans ce nouveau pénitencier ?

Les gamins ne sont pas faits pour la diplomatie. Je crois que nous commençons tous notre vie comme des tyrans en puissance avant de désapprendre, progressivement, au contact des autres et grâce à la culture, l’égoïsme et le despotisme typiques de notre première enfance. Et c’est là que j’étais très différent de mes camarades.

Je ne concevais pas que l’on pût adhérer à un groupe et en condamner un autre sur la foi des témoignages d’un seul parti, en ignorance de cause, juste par sympathie irrationnelle, par l’influence des manipulateurs ou simplement par la crainte de se retrouver dans le groupe des faibles qui pourraient éventuellement se révéler les vrais « bons ».

Ma diplomatie ne réussit en fin de compte qu’à me mettre à l’écart et renforcer mon statut peu glorieux de paria. Pour tous les groupes, j’étais le nouveau qui refusait tout le monde, par dédain, par fierté, par orgueil. Encore un peu et ils se liguaient tous contre moi. Un comble si, par mon refus de nourrir les rivalités qui ont précédé mon arrivée, je finissais par mettre tout le monde d’accord…contre moi !

Je réussis tout de même à faire accepter ma neutralité, à la manière suisse, en promettant notamment de fermer les yeux sur les tentatives de grivèlerie pendant les examens et de me plier à la principale règle du code de conduite macho qui était de n’avoir aucun rapport avec les filles. « Vraiment les gars, y a pas moyen de limiter cette interdiction à certaines filles ? D’accord pour toutes vos règles à la con, mais on peut au moins alléger cette dernière restriction, non ? ».

Mais c’était comme s’adresser à un mur ! Seul le chef de classe, titre acquis par décision unilatérale justifiée par la supériorité physique, avait le droit de fricoter avec les filles. Soi-disant pour connaitre leurs secrets et nous aider à nous défendre contre elles. Ce fut à cause de cet inique droit de cuissage que je ne pus approcher Bahia jusqu’aux tout derniers jours de l’année.

(A suivre)

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