Comment je devins con… (6ème épisode)

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Le dernier souvenir que j’emportai de cette école fut celui de la raclée que je reçus de la part de la directrice suite à une bagarre avec un gamin, de deux ans mon aîné. Sous mon apparente douceur indolente, il y avait en réalité un caractère de feu. Et un sens démesuré de la justice et de l’amour propre.

Le gamin m’avait cherché, il m’avait trouvé. Je suis loin d’être un héros. Mais j’ai toujours eu, depuis l’enfance, un grave problème avec l’autorité, quelle qu’elle fût ; quelque forme qu’elle prît. Alors, je n’allais pas souffrir d’être enquiquiné par ce merdeux juste parce qu’il était mon ainé... ! Résultat des courses : je pris une taloche, il eut une dent cassée et il s’en fut chialer au bureau de la directrice. Convocation, interrogatoire, verdict : une falqa salutaire.

Tout cela ne prit à la directrice que quelques minutes. Je me retrouvai rapidement couché sur le dos à même le sol, pieds nus et jambes relevées à la verticale. La gentille dame se mit debout, les jambes écartées de part et d’autre de mon corps, me tournant un dos légèrement recourbé, son visage à hauteur de mes pieds, ma tête au niveau de ses jupons. J’avais une vue imprenable sur des dessous de directrice. Heureusement qu’elle était propre.

Je ne me demandai jamais pourquoi je fus seul à être puni. Je ne fis pas attention non plus à sa promptitude à me punir. Comme je n’eus jamais l’impression d’être trop sévèrement puni alors que je n’avais fait que me défendre. Pour tout dire, sa punition ne me fit ni mal ni bien. Je ne sentis rien.

La pauvre éducatrice s’essouffla en pure perte sur les pieds déjà presque calleux d’un gamin qui passait tout l’été pieds nus à sillonner les ruelles caillouteuses de Kerkennah. Ce souvenir me revint à la mémoire, plusieurs années plus tard, pendant mon interrogatoire musclé à un sordide poste de police de la Première République, où je fus livré au même traitement.

L’affaire ne devait logiquement pas avoir d’autres dénouements. Je ne dis rien à mes parents qui d’ailleurs ne remarquèrent rien du tout. Mes pieds avaient subi l’outrage stoïquement et continuèrent à me porter sans le moindre signe de révolte ni de déficience.

Mais l’un des maitres de l’école raconta l’histoire à mon père qu’il rencontra par hasard quelques jours plus tard. Mon paternel ne se fit pas prier pour aller chez la directrice protester solennellement et lui dire ses quatre vérités. Cela me valut d’être renvoyé, d’un commun accord entre les deux têtes de l’exécutif, parental et scolaire.

De retour à la maison, mon père m’expliqua, patiemment et avec une émouvante gravité, un mot nouveau même pour moi qui avais beaucoup lu : le racisme. La conscience nouvelle de ma différence longtemps insoupçonnée explosa dans ma tête comme une bulle de gaz. Et je compris.

Je compris, qu’étant étranger, je devais travailler plus que les autres, savoir plus que les autres, me tenir à carreau plus que les autres et rêver de justice beaucoup moins que les autres. Je me prenais naïvement pour un cygne alors que j’étais à leurs yeux juste le vilain petit canard.

Seuls les instituteurs qui m’avaient à leur classe désapprouvèrent mon renvoi. Les autres, ne me connaissant pas vraiment, firent confiance à la perspicacité de la directrice. Ils me chassèrent de leur paradis pour snobinards modèles, sans un regard de compassion. Et puis, tout compte fait, qu’est-ce qu’un kerkénien venu de la capitale ? Si au moins il était riche !

La richesse, c’est connu, n’a ni religion, ni nationalité ni appartenance ethnique. On ne demande pas à un diamant quelle est son origine. Le vilain petit canard est donc parti. Il est venu, il a vécu, il n’a pas vu tant que ça… ! Mais c’était dans l’ordre des choses.

(A suivre)

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