Comment je devins con… (12ème épisode)

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Les grossièretés et les propos orduriers constituèrent l'une des sciences, strictement nouvelles pour moi, que j'appris dès mon arrivée dans ma nouvelle école. Je fis rapidement mes premières armes sous le commandement efficace des meilleurs instructeurs qu'on pût imaginer.

Mes camarades de classe avaient toujours appartenu à cette vieille ville, de plus en plus désertée par les grandes familles qui la peuplaient, devenue le fief et la chasse gardée des cordonniers, des marchands de bric-à-brac et des bonimenteurs de tous genres. Elle n'était pas encore le capharnaüm actuel, mais peu s'en fallait.

A la fois la misère, la promiscuité, le manque d'éducation, avaient forgé le caractère de ces garçons qui auraient été sans doute différents, dans un autre milieu, dans d'autres conditions. Mais ils étaient alors ce qu'ils étaient et je ne les trouvais pas bien différents du peu de jeunes du même âge que j'eus l'occasion de fréquenter. Ils m'apprirent alors tout ce qu'un petit dur des quartiers mal famés de la ville arabe devait connaitre.

Je n'étais pas alors peu fier de ma nouvelle science et je ne ratais aucune occasion de mettre en pratique mes acquis. Et les occasions ne manquaient pas. C'est ainsi qu'un jour, alors qu'on sortait de l'école à la fin des cours, et qu'on déambulait selon notre habitude, définitivement fâchés avec les chemins les plus courts pour nous ramener à nos demeures, je fus pris à parti par un garnement réputé pour ses compétences inégalées en matière d'injures et de grossièretés.

On était en pleine rue, au milieu d'une foule non négligeable. Et lui, criait à tue-tête, m'insultant vertement, sans se soucier des passants, ni des femmes ni des grandes personnes. Mais j'avais été à bonne école et je savais répondre du tac au tac sans avoir nullement froid aux yeux. Je lui répondis donc, aussi fort que je pus, en choisissant la formule consacrée, communément employée dans pareille situation.

Je venais juste d'achever ma diatribe lorsque mon regard tomba sur l'un des maitres de l'école qui me regardait avec colère et désapprobation. Presque avec dégoût. Mon cœur cogna dans ma poitrine comme un moteur emballé. J'étais bon pour le pilori. M'a-t-il reconnu ? Tous les élèves connaissaient tous les maitres de l'école, en serait-il de même pour eux ? Je n'en savais absolument rien et j'avais peur d'approfondir la question.

Mon premier souci était de me soustraire à son regard inquisiteur. Avant qu'il fît le moindre geste, je m'étais faufilé entre les jambes grâce à ma petite taille, et je courus loin de lui, directement vers la maison pour la première fois depuis que j'avais des amis dans ma nouvelle école.

Je vécus les jours suivants dans l'atroce angoisse d'être dénoncé à notre maitre, un sévère quinquagénaire à la voix de stentor qui nous menait à la baguette, plus au propre qu’au figuré. J'eus de la chance pendant deux jours.

Le troisième, je vis avec horreur le témoin de ma déchéance entrer dans notre classe.

J'étais fait comme un rat. Il se dirigea vers notre maitre et eut avec lui un long conciliabule, à voix trop basse pour que je puisse entendre le moindre mot, en dépit de ma proximité du bureau du maitre, privilège du premier de la classe. J'attendais avec l'appréhension d'un futur condamné à mort le doigt accusateur qui me désignerait à la vindicte magistrale, moi l'élève indigne, dégénéré, vrai "chien de marché" selon la locution métaphorique connue.

Mais, s'il était vraiment question de mon incartade vieille de trois jours, pourquoi a-t-il autant attendu ? Était-il occupé à s'assurer de mon identité ? Cela prouverait qu'il ne m'avait pas reconnu, sur le coup. Mais alors, cela prouverait aussi qu'il ne me connaissait pas personnellement.

Arrivé à cette réflexion dans mes cogitations silencieuses, je ressentis un léger espoir rapidement balayé par la triste réalité : il était impossible qu'il ignorât qui j'étais puisqu'à cause de mes damnés bons résultats scolaires j'étais une véritable star à l'école. Presque tous les enseignants, de toutes les classes, me connaissaient et m'appelaient par mon nom chaque fois que je les croisais.

Pourquoi diable n'étais-je pas suffisamment nul pour passer inaperçu ? Pourquoi n'avais-je pas cette chance inouïe d'être un élève anonyme ? J'en étais arrivé à détester mes résultats qui me rendaient si vulnérable.

(A suivre)

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