Depuis l’annonce par l’entité sioniste de la reconnaissance officielle de la République du Somaliland comme État indépendant et souverain, la Corne de l’Afrique se retrouve happée dans une séquence géopolitique lourde de sens, qui dépasse de loin le simple cadre diplomatique.
Derrière la rhétorique policée et l’habillage opportuniste des Accords d’Abraham, se dessine une logique plus dure et plus froide où les territoires fragiles deviennent des instruments et où les peuples, qu’ils soient arabes, africains ou palestiniens, semblent relégués au rang de variables d’ajustement.
Cette décision s’inscrit dans une continuité historique assumée de la politique étrangère sioniste, marquée depuis les années 1950 par la doctrine des périphéries. Une doctrine qui consiste à contourner les résistances politiques et morales en nouant des alliances avec des entités marginalisées, contestées ou isolées, afin de consolider une domination stratégique.
Ce qui interroge aujourd’hui, ce n’est pas seulement la persistance de cette approche, mais son caractère de plus en plus décomplexé, au moment même où le peuple palestinien continue de payer, dans sa chair, le prix d’agendas sionistes expansionnistes et sécuritaires présentés comme inéluctables.
Le choix du Somaliland n’est donc ni innocent ni altruiste. Sa position géographique, au carrefour du golfe d’Aden et du détroit de Bab el-Mandeb, en fait un territoire convoité, une pièce stratégique dans le contrôle des routes maritimes et des équilibres régionaux. Sous couvert de reconnaissance politique, les sionistes poursuivent avant tout un objectif de projection de puissance; surveiller les flux commerciaux, renforcer ses capacités de renseignement face aux Houthis au Yémen et s’installer durablement dans un espace clé de la sécurité maritime mondiale.
Le Somaliland apparaît alors moins comme un État reconnu pour sa trajectoire politique que comme un avant-poste et une extension périphérique d’une stratégie sécuritaire globale.
Cette instrumentalisation géopolitique s’accompagne d’un mépris assumé pour les normes du droit international. En reconnaissant un territoire sécessionniste sans reconnaissance onusienne, l’occupant sioniste s’autorise à redessiner unilatéralement les frontières du licite et de l’illégitime, tout en invoquant ailleurs le droit international lorsqu’il sert ses intérêts.
Ce double standard n’est pas sans rappeler la situation palestinienne où l’occupation, la colonisation et l’annexion de facto sont normalisées, tandis que la résistance est systématiquement criminalisée. La réaction ferme de Mogadiscio, dénonçant une violation flagrante de la souveraineté somalienne, résonne ainsi comme un écho lointain des protestations palestiniennes, trop souvent ignorées ou étouffées.
Du côté du Somaliland, l’espoir suscité par cette reconnaissance masque une réalité profondément ambivalente. Certes, l’entité sécessionniste aspire à sortir de l’isolement, à accéder à des soutiens sécuritaires, technologiques et financiers. Mais ce pari repose sur une dépendance accrue à un parrain unique, dont les priorités ne sont ni africaines ni humanistes, mais strictement stratégiques, strictement sionistes.
À vouloir forcer la reconnaissance internationale par une alliance asymétrique, le Somaliland risque de troquer une marginalisation juridique contre une tutelle informelle au prix d’une souveraineté amputée.
Plus inquiétante encore est l’ombre portée de projets qui rappellent douloureusement l’histoire palestinienne récente. Les informations faisant état de discussions autour d’un éventuel accueil de Palestiniens déplacés de Gaza sur des territoires africains, dont le Somaliland, révèlent une logique profondément déshumanisante. Celle d’une entité qui, incapable et refusant de mettre fin à l’occupation et à la violence, cherche des solutions d’exportation de la crise, comme si un peuple pouvait être déplacé, fragmenté et relocalisé au gré des calculs géopolitiques. Et même si ces scénarios se heurtent à des obstacles majeurs, leur simple évocation témoigne d’une vision où le droit des Palestiniens à vivre libres sur leur terre est nié, une fois de plus.
En somme, la reconnaissance du Somaliland ne peut être dissociée du contexte plus large des politiques étrangères sionistes, fondées sur la force, l’asymétrie et l’instrumentalisation des vulnérabilités. Elle illustre une conception du monde où les peuples comptent moins que les cartes et où la souffrance palestinienne devient un bruit de fond permanent, banalisé et presque normalisé.
Entre ambitions sionistes, fragilité somalilandaise et résistance de l’État somalien, cette décision ouvre une nouvelle brèche dans un ordre international déjà fissuré, et rappelle, avec une brutalité silencieuse, que tant que l’injustice faite aux Palestiniens perdurera, aucune recomposition géopolitique ne pourra prétendre à la légitimité morale.