Gabès, la ville à double asphyxie

À Gabès, l’air lui-même est devenu un champ de bataille. D’un côté, les émanations toxiques du groupe chimique qui rongent les poumons et les vies, de l’autre, les nuages de gaz lacrymogène que les forces de l’ordre projettent sur ceux qui réclament le droit de respirer. Ainsi, la population se retrouve prise en étau entre deux suffocations: celle de l’industrie et celle du pouvoir.

Depuis plus de dix jours, la scène se répète avec une régularité glaçante; évanouissements d’enfants et de femmes, déploiement massif des forces de l’ordre et arrestations quotidiennes de dizaines de jeunes manifestants. Rien n’y fait: la détermination des habitants demeure intacte.

La revendication des habitants est pourtant simple, presque naïve dans sa radicalité; fermer le GCT ou le déplacer loin des zones habitées. En somme, sauver la vie avant de sauver la façade du régime.

Face à cette colère légitime, certains chroniqueurs et commentateurs, tapis dans le confort des plateaux télévisés ou derrière celui des réseaux sociaux, s’érigent en procureurs. Ils accusent les protestataires de semer le chaos, de vouloir déstabiliser l’État et de conspirer contre la stabilité nationale. Mais que vaut une stabilité bâtie sur l’empoisonnement quotidien d’une population? Que vaut un ordre qui exige le silence des mourants pour se maintenir debout? Ces voix, obséquieuses et serviles, ne défendent rien qu’un pouvoir qui préfère flatter son image plutôt que protéger ses citoyens.

La tragédie de Gabès n’est pas un accident isolé, mais le symptôme d’une faillite plus vaste: celle d’un État qui, face à une catastrophe écologique patente, choisit le gaz lacrymogène plutôt que la solution et la matraque plutôt que la responsabilité.

Plus tragique est l’absence de volonté politique; des promesses différées et des discours creux. Que dalle! Alors que tout concourt à transformer cette crise environnementale en un drame social et moral.

Car il ne s’agit plus seulement d’écologie, mais de dignité. Le droit à un air respirable, à une eau non contaminée, à une existence préservée de la mort lente; voilà ce que réclament les habitants. Et voilà ce que l’on leur refuse, au nom d’une prétendue raison d’État qui n’est, en vérité, que la raison d’un pouvoir sourd et aveugle.

Gabès, aujourd’hui, est le miroir d’un pays entier. Si l’on accepte que ses habitants soient sacrifiés sur l’autel de l’industrie, de l’indifférence et du silence, alors c’est la nation toute entière qui consent à sa propre asphyxie. La question n’est donc pas seulement locale: elle est nationale, existentielle, presque civilisationnelle. Et donc, forcément politique.

Il est temps de choisir; continuer à étouffer sous les gaz, chimiques ou lacrymogènes, ou bien ouvrir enfin les fenêtres de l’air libre, de la justice et de la vérité. Car, cette fois, les habitants de Gabès ne renonceront pas à leurs revendications et ne cesseront pas de protester avant que justice ne soit faite.

Poster commentaire - أضف تعليقا

أي تعليق مسيء خارجا عن حدود الأخلاق ولا علاقة له بالمقال سيتم حذفه
Tout commentaire injurieux et sans rapport avec l'article sera supprimé.

Commentaires - تعليقات
Pas de commentaires - لا توجد تعليقات