Sonia Dahmani, avocate tunisienne incarcérée pour avoir dénoncé le "racisme" envers les migrants africains, vient de recevoir le prestigieux International Press Freedom Award 2025, aux côtés de journalistes chinois, équatoriens et kirghizes.
Ce paradoxe éclaire d’une lumière crue l’injustice de son emprisonnement et la grandeur de son combat, comme si la réalité, prise à hue et à dia par les autorités, finissait malgré tout par remettre les pendules à l’heure.
Il est des ironies qui révèlent la vérité avec une brutalité implacable. Tandis que la justice tunisienne s’acharne à réduire au silence Sonia Dahmani, avocate, écrivaine et chroniqueuse médiatique, le monde libre la consacre comme symbole universel de la liberté de la presse.
Son crime, aux yeux du pouvoir, n’est pas d’avoir falsifié des faits ni d’avoir incité à la haine, mais d’avoir osé nommer l’indicible; ce qu’elle a appelé "un racisme dirigé contre les migrants subsahariens", souvent qualifiés de clandestins pour mieux légitimer leur exclusion.
Et même si l’on peut juger que certaines de ses déclarations ont été injustes, excessives ou irréelles, cela ne change rien à une évidence sacrée en démocratie; une opinion libre, tant qu’elle n’enfreint pas la loi ni ne porte atteinte à qui que ce soit, doit rester du domaine du débat public et non de la répression judiciaire.
En Tunisie, pourtant, cette parole est devenue un délit et l’on enferme celle qui la porte. À New York, cette même parole est élevée au rang de courage exemplaire, preuve que l’universalité des droits n’est pas négociable.
Le Committee to Protect Journalists (CPJ), qui depuis des décennies distingue les voix les plus audacieuses, a choisi en 2025 de célébrer cinq figures incontournables. Outre Sonia Dahmani, l’on compte Dong Yuyu, vétéran du journalisme chinois, condamné à sept ans de prison pour "espionnage" après un déjeuner avec un diplomate japonais, Elvira Del Pilar Nole et Juan Carlos Tito, couple équatorien contraint à l’exil au Canada pour continuer à informer, et Bolot Temirov, reporter d’investigation du Kirghizstan, harcelé pour ses enquêtes sur la corruption.
Ainsi, Sonia se retrouve dans une constellation de résistants, chacun incarnant à sa manière la fragilité et la grandeur de la liberté de dire, dans un monde où ceux qui veulent "faire taire" tirent souvent à boulets rouges sur ceux qui refusent de plier.
Les critiques fusent pourtant sur les réseaux sociaux. Certains zélateurs du pouvoir, prompts à défendre l’indéfendable, s’indignent qu’une avocate soit honorée par un prix "réservé aux journalistes". Comme si la liberté de la presse était une corporation fermée et comme si le droit de dénoncer l’injustice devait se limiter à ceux qui portent une carte professionnelle.
Mais la vérité est que Sonia, par ses chroniques, ses interventions publiques et son engagement intellectuel, a exercé une fonction journalistique au sens le plus noble; informer, alerter, mettre en lumière ce que l’on voudrait cacher, même à tort parfois, mais peu importe. La réduire à son titre d’avocate pour la disqualifier est une manœuvre aussi mesquine que transparente, révélatrice d’une ignorance et d’un larbinisme qui, à force de naviguer à vue, redoutent plus que tout la parole libre.
Ce prix, loin d’être une simple médaille de plus sur une étagère, est une gifle symbolique infligée à l’autoritarisme. Il rappelle que la liberté d’expression n’est pas une faveur octroyée par l’État, mais un droit universel non négociable, que l’on défend bec et ongles lorsqu’il est menacé.
Il souligne que la Tunisie, jadis célébrée comme laboratoire démocratique du monde arabe, sombre désormais dans une répression qui criminalise la critique et travestit la justice. Et il inscrit Sonia dans une fraternité mondiale où les frontières s’effacent devant l’exigence de vérité et où les consciences refusent de marcher au pas lorsqu’on tente de les museler.
Ainsi, l’on peut dire que ce prix ne récompense pas seulement une femme courageuse; il dénonce une époque où la parole est menacée, où les États préfèrent emprisonner les voix dissidentes plutôt que d’affronter leurs propres démons.
En honorant Sonia Dahmani, le CPJ rappelle que la liberté de la presse n’est pas une profession, mais avant tout une mission; celle de défendre l’humanité contre l’oubli, le mensonge et la peur, tant que certains s’évertuent à faire aller le pays selon leurs caprices.