La bêtise naturelle face à l’intelligence artificielle n’est pas qu’une formule ironique, c’est une réalité tangible dans le paysage numérique tunisien.
Les réseaux sociaux, censés être des espaces de débat et de liberté, se transforment en champs de bataille inégaux où les voix libres affrontent des armées de comptes automatisés. Ces bots et fermes numériques entières ne sont rien d’autre que des instruments de propagande, programmés pour répéter un discours creux, amplifier artificiellement une adhésion inexistante et donner l’illusion d’un soutien populaire massif. Or le danger ne réside pas seulement dans la manipulation de l’opinion publique, mais dans la tentative de vider l’espace virtuel de sa fonction première d’offrir un lieu d’expression et de critique libres.
En Tunisie, où la crise politique et économique s’aggrave, il ne fait désormais plus de doute que l’usage systématique de ces outils numériques apparaît comme une stratégie désespérée pour masquer l’échec d’un pouvoir incapable de convaincre par la seule force de ses actes. Ce choix en dit long sur les priorités réelles du pouvoir; plutôt que de répondre aux attentes sociales et économiques, il préfère investir dans le jeu d’influence numérique, une stratégie qui confine à l’absurde.
Le vernis pourtant se fissure, car derrière l’apparente omniprésence des discours laudatifs, la monotonie des messages automatisés trahit leur artificialité. Difficile de prétendre le contraire lorsque la réalité quotidienne des citoyens dément chaque jour la propagande, aussi massive soit-elle.
Le plus inquiétant est que cette invasion cherche à étouffer l’espérance du changement en saturant le débat public de bruit, de faux profils et de faux consensus. Elle vise à fatiguer l’esprit critique, à décourager l’engagement citoyen et à faire croire que toute résistance est inutile. C’est une forme de violence symbolique qui s’ajoute à la violence institutionnelle; on ne réprime plus seulement dans la rue, on tente de réprimer dans l’imaginaire collectif.
Pourtant, elle révèle en creux la fragilité d’un système en porte-à-faux qui a besoin de machines pour simuler l’adhésion populaire. Les tentatives de rebranding politique, souvent mises en avant en marge du sommet des crises nationales, ne parviennent pas à masquer l’évidence: un pouvoir sûr de lui n’aurait pas besoin de ces artifices.
La riposte ne peut se limiter à la dénonciation; elle doit passer par la production de contenus libres, critiques et créatifs, capables de déjouer la manipulation et de redonner sens à la parole citoyenne.
Les journalistes indépendants, les écrivains, les humoristes, les voix libres, les citoyens ordinaires ont ici un rôle crucial; celui de réintroduire l’humain, l’expérience vécue et l’émotion, là où l’algorithme ne produit que du vide. La confrontation actuelle n’oppose pas seulement des individus à un régime, mais un esprit vivant à une mécanique stérile. Une intelligence humaine apte à inventer et à contester à une intelligence artificielle détournée pour falsifier le réel.
En cette patrie marquée par une longue tradition de résistance à l’autoritarisme, le pari reste que les voix libres finiront par l’emporter. Car aucune armée de bots et de bêtes ne peut effacer durablement la vérité vécue par le peuple, aucune propagande numérique ne peut anesthésier indéfiniment la mémoire collective.
Le citoyen tunisien, confronté chaque jour à la dureté du réel, sait reconnaître la supercherie. Et c’est là que réside l’espoir; dans la capacité de l’intelligence humaine, critique, vive et créative, à déjouer la bêtise programmée et à transformer le bruit et le verbiage inutile en énergie de résistance.