La guerre à Gaza n’est pas « seulement » un génocide : c’est une lutte contre l’idée même de résistance. Les Palestiniens ont le droit de souffrir, de revenir aux canons compatissants des droits de l’homme tant qu’ils restent silencieux, victimes et non sujets pensants. C’est le cœur du dispositif colonial : non seulement tuer, mais empêcher que la résistance ne devienne pensable, parlée. Ce qui fait vraiment peur, ce n’est pas la violence, mais la lucidité, la résistance qui devient une proposition, une stratégie, une vision.
C’est pourquoi l’Occident, qui a fait de la loi son alibi moral, ne tolère pas la résistance : il l’expulse, la dégrade jusqu’au terrorisme. Une résistance si forte, enracinée, irréductible, que seul un génocide peut tenter - et échouer - de l’éteindre. C’est la vérité éludée : le génocide comme condition de l’auto-absolution occidentale. Ce n’est qu’en planifiant l’effacement physique du peuple palestinien que l’Occident pourra éviter de faire face à sa propre culpabilité historique, juridique et politique.
Une culpabilité aussi énorme que lâche, qui non seulement agit, mais balbutie. Il balbutie le terme de « génocide », l’évite, l’adoucit même devant des places plus ou moins bondées, convoquées vingt mois après le début des massacres. Sur ces places, les gens parlent sans nommer, ils nomment sans accuser, ils accusent sans prendre parti.
Ainsi chante l'illusion d'une multitude imaginaire dans les rues du monde, rassemblée à la dernière minute par ceux qui, après tant d'équilibrisme politique, exultent aujourd'hui dans un optimisme qui ne connaît pas la lutte, n'a pas payé le prix du sang, n'a jamais défié l'ordre impérial. Il a pourtant le courage de parler au nom de la résistance, d'en être le gardien médiatique, alors que les cadavres d'enfants, de femmes et d'hommes sont encore chauds sous les décombres.
Cette prétendue multitude, fallacieuse et conçue dans les salons narcissiques d'une intelligentsia pacifiée, ne rend rien à la résistance palestinienne. Elle la contourne, la dépolitise, la réduit à la toile de fond de son propre protagonisme tardif, l'associant à des initiatives formellement louables mais empreintes de la plus rassurante équité occidentale - bien acceptée, bien digérée, bien marquée. Des places réveillées comme par enchantement, la traversée intrépide d'un petit voilier, des communiqués confus : tout concourt à offrir l'illusion d'un tournant, d'un coup moral porté non pas au régime israélien mais seulement à ses dirigeants actuels, devenus parias, en essayant d'occulter la force réelle et irréductible qui a empêché le rideau de tomber : la résistance palestinienne.
C’est comme si ce n’est que maintenant, grâce à l’indignation certifiée par les consciences occidentales, que l’on peut enfin dire que le sang de Gaza est intolérable, mais à condition que nous continuions à nous taire, à déformer, à criminaliser cette résistance qui, pendant des décennies, a dénoncé à un prix très élevé l’oppression mondiale. Ce ne sont pas les places tardives ou une célèbre navigation en Méditerranée qui démasquent l’horreur : c’est la résistance palestinienne qui l’a forcée à se faire jour. Et c’est précisément pour cette raison que l’Occident l’a qualifié - et continue de l’appeler - terrorisme.
La vérité est que la résistance palestinienne n’a pas besoin d’eux. Elle est autonome, fière, armée d’une pensée qui traverse le temps, défie l’espace et brise l’ordre colonial mondial.
Cette résistance n’est pas seulement politique ou militaire, mais ontologique et temporelle : elle brise l’ordre linéaire de l’époque coloniale, dans laquelle les Palestiniens sont toujours « en retard » sur la liberté. La résistance n’attend pas : elle fait irruption dans l’heure présente, affirme une autre temporalité, où les vivants marchent même avec les morts et où le retour n’est pas seulement géographique mais profondément politique.
Sur le plan juridique, cette lutte se heurte clairement à un droit international né du colonialisme, qui légitime le pouvoir plutôt que de le limiter. Des termes tels que « légitime défense » et « souveraineté » sont codifiés pour servir l’Occident et n’ont jamais été destinés aux Palestiniens. La crise de légitimité du droit libéral ouvre aujourd’hui un espace pour de nouveaux langages politiques, fondés non pas sur la supplication, mais sur la construction d’une solidarité désobéissante.
La structure de la résistance change également. Après la dévastation de Gaza, nous n’assistons pas à sa fin, mais à une transformation : la résistance survit, se réorganise, se redéfinit. Elle est toujours capable, enracinée, déterminée à épuiser l’occupation israélienne au fil du temps.
Pendant ce temps, les institutions officielles palestiniennes – l’Autorité palestinienne et les forums dérivés d’Oslo, le refrain de « deux peuples, deux États » – sont des coquilles vides, maintenues par l’inertie et les intérêts coloniaux. Mais dans les rues, parmi les gens, la question « que faire ? » reste vivante, même dans sa paralysie substantielle.
Et c’est peut-être précisément ce qui effraie les dominants : que le Palestinien ne demande plus à entrer dans l’histoire, mais à la réécrire. Et qu’il le fasse sans attendre l’Occident, sans mendier sa reconnaissance, mais en exhibant sa faillite morale et politique.
Dans ce scénario, vous n’avez pas besoin d’inventer quoi que ce soit : vous devez écouter. Les pratiques de résistance à adopter en Occident ne sont pas construites avec l’arrogance du sauveur, mais avec l’humilité de celui qui reçoit. Il faut se laisser traverser par la puissance qui émane de la résistance palestinienne, la reconnaître et l’interpréter comme un horizon théorique et pratique à partir duquel partir, et non comme un drapeau à agiter sur commande.
L'heure n'est pas à l'instrumentalisation du consensus, mais à la remise en cause cohérente de l'ordre existant, sans hésitation ni distinction. De rompre avec les compatibilités, avec les fictions pacificatrices, avec le privilège de pouvoir choisir de s'indigner ou non. La tâche qui attend l'Occident n'est pas de représenter la Palestine, mais d'agir à partir d'elle, en tant qu'épicentre politique d'une crise qui nous affecte intégralement.
C’est à partir de là, et seulement à partir de là, que nous pouvons commencer à construire un projet qui ne protège pas, mais renverse l’ordre mondial actuel et féroce.