Le spectacle d’un génocide certifié

Alors que Gaza est en train d’être rasée, les Nations Unies ont retrouvé leur voix. Ils déclarent que oui, il y a un génocide. Qu’il y a une famine à Gaza, même « prévisible et évitable ». Ils l’écrivent dans un rapport officiel, ils le déclarent dans des briefings. Deux ans de massacres systématiques, de famine administrée, d’enfants, de femmes et de personnes âgées tués, de maisons, d’écoles, de lieux de culte et d’hôpitaux réduits en poussière, et maintenant la vérité est enregistrée. Pas pour s’arrêter, pas pour prévenir, mais pour consigner les faits officiels. Non pas pour sauver des vies, mais pour sauver la face.

Le droit international ne s'est pas effondré à Gaza : à travers ses institutions, il a fonctionné à la perfection. Il a servi à différer, à couvrir, à laisser la catastrophe mûrir. Quand tout est déjà accompli, il prononce le mot interdit, validé par le cachet de l'institution, comme s'il s'agissait d'une découverte. Ce n'est pas un acte de justice : c'est un acte notarié, un moyen de dire « nous l'avions dit ». Le langage devient ainsi une certification posthume et une auto-absolution de l'Empire qui manœuvre ces mêmes institutions. C'est le certificat de conscience de ceux qui ont détourné le regard pendant que la machine de destruction accomplissait sa tâche.

Pour rendre ce théâtre grotesque, le même jour, les images de la soi-disant flottille humanitaire affluent. De petits bateaux avançant vers Gaza, salués comme un symbole de courage civil, célébrés comme un témoignage du fait que « quelqu’un essaie ». Ce n’est pas tant ceux qui y participent, souvent de bonne foi et au péril de leur vie, qui pose problème : c’est la valeur attribuée à la scène. C’est le même mécanisme que la déclaration de l’ONU, celui d’un rite d’absolution et de spectacularisation. Rien ne change sur le terrain, cela n’affecte pas la cruauté israélienne, cela ne rend pas l’eau, le pain, les hôpitaux aux Palestiniens. Mais tout cela permet, encore une fois, de se sentir bien, « du bon côté ». Un geste qui produit des images pour la consommation occidentale : le spectacle d’une conscience tranquille. Un substitut esthétisé, marqué, fonctionnel de la résistance pour préserver l’ordre du capital, devenant son cadre moral. Capital que, entre-temps, navigue vers l’extermination accomplie.

La vérité non avouée, c’est que nous sommes les auteurs, et non de simples complices, de ce génocide. Avec nos gouvernements, nos armes, nos bases militaires, nos financements, nos votes dans les forums internationaux, nationaux, régionaux, municipaux. Avec nos médias, juristes et faiseurs d’opinion qui, depuis deux ans, se rincent la bouche avec les mots « droit international » et « humanité » en soutien aux initiatives tardives et aux marches pluralistes. Le sumud réduit à une marque à exposer, drapeaux et keffieh brandis comme accessoires de je ne sais quel championnat remporté. Les places, largement dépourvues de culture politique, ont été construites pour blanchir les consciences. Les mêmes figures, toujours les mêmes, qui pontifient sans relâche depuis les réseaux sociaux et la télévision. Autoréférentiels, ils récitent un scénario cynique : non pas libérer la Palestine, mais se mettre au centre, occuper la scène, être reconnus comme garants moraux. Les Blancs défendent une loi qui ne défend personne, d’un humanitarisme qui couvre la faim, d’une légalité qui ne sert qu’à prolonger l’injustice. Ce ne sont pas des voix marginales : ce sont des rouages centraux de la machine qui régule le consensus, normalise l’extermination et la traduit en représentation morale.

Et c’est là qu’émerge une autre supercherie : l’idée que la critique est stérile si elle n’est pas accompagnée d’une proposition immédiate et emballée. C’est le reflet d’une culture de l’auto-absolution qui neutralise l’analyse, exigeant des solutions prêtes à l’emploi et déléguant toujours la responsabilité de penser et d’agir à d’autres. Mais l’analyse radicale n’est pas un luxe : c’est déjà de l’action, c’est la base indispensable de tout projet de transformation. Sans ce moment de déconstruction et de démystification, il n’y a pas de possibilité de praxis : il ne reste que la répétition des rituels qui réconfortent et préservent l’ordre colonial.

La flottille devient ainsi l’emblème parfait de cette société malade : une procession sur l’eau qui n’égratigne pas le siège, mais qui donne au public occidental l’illusion d’y participer sans « se salir ».

Israël est une entité voyou, fondée sur le nettoyage ethnique, qui proclame ouvertement qu’elle veut éliminer les Palestiniens. Les gouvernements occidentaux, notre argent l’arme, le finance, le couvre. Les bombes portent nos marques, les drones nos technologies, les banques nos capitaux. Et pendant que la machine coloniale accomplit sa tâche, nos juristes, nos intellectuels, nos champions de l’humanitarisme vendent le spectacle de la conscience : bateaux, conférences de presse, hashtags.

La chaîne logistique du génocide est la nôtre et le droit international en est la couverture. Les documents de l’ONU qui arrivent maintenant ne sont pas de la dénonciation, mais de l’absolution préventive. C’est là qu’il faut le dire sans ambiguïté : c’est le langage qui dépolitise, neutralise, transforme le massacre en acte juridique. C’est le cœur macabre de la « communauté internationale » : enregistrer l’extermination comme on enregistre un contrat.

La vérité est que la Résistance palestinienne, avec son sang versé, est la seule force qui a interrompu l’automatisme de la chaîne coloniale. Pas nos actes symboliques, pas les marches d’autocélébration. C’est la Résistance, avec son sacrifice, qui démasque la bassesse morale de l’Occident, la honte de son droit.

La fleur palestinienne s’épanouit sur les décombres que nous avons contribué à produire. Son existence est la seule dénonciation crédible de notre civilisation défaillante. C’est pourquoi aujourd’hui nous n’avons pas le droit de juger, de prescrire, de mesurer. Nous n’avons que le devoir de faire taire notre hypocrisie, d’arrêter de fournir des armes, de délier les chaînes de notre système qui nourrit le génocide.

La critique, aussi inconfortable soit-elle, fait partie de cette tâche : non pas une diversion, mais la condition nécessaire pour rejeter les illusions et ouvrir des espaces d’alternatives. Il n’y a pas besoin d’attendre les héros ou d’applaudir à une mise en scène rassurante. Ce qu’il faut, c’est le travail obstiné et collectif, invisible et tenace de ceux qui ne se contentent pas de la consommation d’images mais visent à déstabiliser l’ordre colonial dans ses fondements.

Tout le reste n'est que spectacle. Et c'est le spectacle qui cache l'extermination.

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