Paix et fraîcheur sur Gaza: notes sur une trêve coloniale

« Je me suis réveillé ce matin avec les pleurs du ciel, mêlés aux nôtres. Comme si le pays ne faisait que rejouer la même scène depuis des décennies: des guerres qui ne finissent jamais. À peine l’une se termine qu’une autre commence; et quand une autre commence, on découvre que celle d’hier n’est pas vraiment finie, mais tapie derrière chaque coin. C’est comme si cette terre était condamnée à un séjour éternel dans la salle d’attente de la guerre, sans issue ni rédemption. Il ne nous reste qu’à nous accrocher à une vieille invocation: « Paix et fraîcheur sur Gaza, une fois, puis deux, puis encore trois fois; enfin, sur ce qu’il reste de nous au-delà d’elle ». Nous la répétons comme un dernier sortilège, tout en sachant qu’il n’arrête pas l’hémorragie. Et pourtant, nous y suspendons ce qu’il reste d’espoir: qui sait, ce sera peut-être le début de la fin d’une blessure qui ressemble à l’éternité, la fin d’une douleur qui ignore le verbe avancer. »

Ainsi écrivait hier matin mon ami et camarade Abdaljawad Omar, à la suite de l’annonce d’un premier accord entre les parties à Gaza.

Mais si une trêve est prononcée comme « paix », il faut se demander: que signifie aujourd’hui la paix et qui a l’autorité de la proclamer? Car Gaza n’est pas seulement une tragédie: elle renvoie à l’Occident la vérité de son propre langage, cette « civilisation » qui prétend tout comprendre sauf ce qui la met à nu.

Nous avons analysé, empathisé, déconstruit jusqu’à l’épuisement; et pourtant, l’ordre du monde reste fondamentalement intact. L’équilibre moral simulé de la pensée occidentale n’est pas innocence: c’est une méthode de légitimation de la domination. Tandis que l’administration américaine – par la bouche de son président répugnant – proclame une « paix » après avoir activement contribué au massacre de dizaines de milliers de personnes, l’empire s’érige en arbitre de son propre crime.

Cette « paix » n’est pas la fin de la guerre: elle en représente la continuation par voie administrative. C’est une restructuration coloniale. Plus, de chars visibles, légèrement reculés mais toujours menaçants, derrière des chaînes de commandement plus raffinées : infrastructures numériques, flux financiers, opérations fiscales pour les capitaux mondiaux. Une « reconstruction durable » avec Gaza comme laboratoire de la domination humanitaire technologisée: confirmée comme espace à faible intensité de vie et à intensité de contrôle encore plus élevée, donc d’oppression.

Pendant ce temps, les places occidentales continuent de se remplir: élans, actions, slogans, images partagées. Mais il faut regarder avec lucidité théorique: l’hétérogénéité et la désarticulation de ces masses, l’absence d’une direction politique commune et le risque, loin d’être négligeable, d’un auto-absorption communicatif ne sont pas les signes d’un véritable réveil. Nous verrons les développements avec espoir et une contribution d’idées mais, pour l’instant, ces événements semblent entièrement absorbables dans le schéma de la société du spectacle, qui neutralise la résistance en la transformant en événement consommable.

L’essaim bouge, se photographie, s’expose mais met rarement en œuvre des instruments de contre-pouvoir. Si la place ne se traduit pas en projet politique, elle se dissout dans le moralisme et devient carburant pour la légitimation de l’ordre établi.

Nous devons donc nous méfier des applaudissements qui accompagnent les images « festives » de Gaza, venant de tant de gens qui, jusqu’à hier, condamnaient sans hésitation le 7 octobre « sans si ni mais », ignorant deux années de boucherie génocidaire et ininterrompue: massacres, os brisés, entrailles pendantes, corps martyrisés. Maintenant, ils s’émeuvent devant quelques sourires en gros plan, devant la foule qui danse parmi les ruines, comme si cette joie était la preuve du don restitué par notre civilisation retrouvée. Et cela n’est rien d’autre que le prélude à la nouvelle logistique de la soumission coloniale, son fondement culturel.

Non moins insidieux est le penseur moral qui accompagne ces scénarios: apparemment cultivé, humain. Celui qui cite Said à tort et à travers, avec une voix grave et des gestes compassés, pontifiant sur la cohabitation entre juifs et palestiniens pour mieux occulter sa collusion avec l’ordre sioniste. Une sorte de prêtre du néo-consensus, bien accueilli dans les salons théoriques d’une multitude libératrice indéfinie qui, pourtant, n’oublie jamais de faire un clin d’œil au kibboutz.

La résistance palestinienne n’a pas besoin de caresses intellectuelles; elle sait pour qui et pour quoi elle lutte. Dans ce contexte, c’est à nous – dans les lieux du privilège – qu’incombe le règlement de comptes. C’est nous les producteurs de ces langages de la paix, de ces valeurs de civilisation et de ces chaires de la morale qui constituent le moteur idéologique de la destruction que nous appelons ensuite « ordre international ».

Tant que nous ne briserons pas ce mécanisme, nous continuerons à fournir à l’empire son faux visage humain. La paix, si elle reste un mot imposé par l’Occident, n’est que prolongement de la domination. Une paix à déserter pour ses mécanismes malins, nés pour consolider l’oppression coloniale. Ce n’est qu’alors que l’on pourra recommencer à dire « paix et fraîcheur sur Gaza » non comme une fragile formule de trêve, mais comme début de libération.

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