Naples chante, les balcons soupirent : Gaza entre Scudetto et linceuls

Au moment où Naples remportait son quatrième Scudetto, un geste symbolique était promu en Italie : 50 000 linceuls à accrocher aux balcons, en mémoire des victimes du génocide israélien à Gaza. Une initiative qui, au lieu d'ébranler l'ordre des choses, finit par le confirmer. Car aujourd'hui, la compassion blanche est devenue le nouveau déodorant moral de l'Occident : elle nous émeut sans nous impliquer, elle nous absout sans nous exposer. Il n'y a rien de plus fonctionnel pour le statu quo qu'une conscience occidentale qui nettoie son âme avec du linge blanc, en évitant de se salir les mains dans la lutte.

Susan Sontag nous l'a rappelé : esthétiser la douleur signifie souvent la rendre inoffensive, consommable. Regarder la douleur des autres devient alors une façon de ne pas vraiment la ressentir. Une forme de consommation émotionnelle, à travers des images, des symboles, des hashtags, des lumières clignotantes et des draps. Et oui, parce que seules certaines vies deviennent « pleurables » pour l'ordre dominant. Les autres sont ignorées, du moins jusqu'à ce qu'elles soient si nombreuses qu'elles deviennent un fardeau même pour la conscience du coupable.

Ainsi, Gaza, après vingt mois de génocide, entre dans le radar moral des Italiens "sensibles", mais presque à voix basse, sans chiffre, sans colère. Le linceul, aujourd'hui, ne représente pas Gaza : il représente la difficulté d'agir, le besoin de se sentir du bon côté sans rien risquer. Il n'y a pas de dénonciation politique forte, même le décompte des victimes est évoqué à la baisse par le titre qui donne son nom à l'initiative : il n'y a que la blancheur de l'enlèvement. Le linceul devient alors l'écran moral du privilège, permettant de dire "nous sommes là" sans y être. C'est la version ordonnée et domestique de la lutte, c'est-à-dire un activisme qui ne bouleverse pas, qui ne dérange pas. C'est le « lavage de deuil », une forme de deuil pour l'Occident sensible. Bref, une pitié tardive, avec un visage propre et un cœur léger. Mais la pitié n'est pas la résistance, les pleurs ne sont pas la politique, le balcon n'est pas une barricade.

À Naples, en revanche, c'est la liesse. Et pas seulement pour le football. La multitude, le sujet collectif, a agi, inventé, résisté. Parmi les drapeaux bleus, des bannières et des drapeaux palestiniens ont surgi. Non pas pour commémorer un deuil, mais pour célébrer une fraternité, pour affirmer une communauté historique faite de marginalité, d'exploitation, de résistance. Non pas pour moraliser, mais pour reconnaître. Donc, pas de compassion, mais du lien : la vraie solidarité, celle qui voit dans l'autre opprimé son propre visage. Fanon l'a dit clairement : on ne se bat pas pour l'autre en tant que faible, mais avec l'autre, parce qu'on est faible ensemble, allié dans le même champ de force.

Naples n'a pas eu de pitié. Elle a partagé. Et cette joie collective, contaminée par les signes d'une rédemption globale, est authentique, révolutionnaire. La bannière aux couleurs de la Palestine hissée à Forcella au milieu de la fête napolitaine n'est pas une fleur sur le cercueil, c'est la rédemption. Contrairement au drap tendu dans la solitude, cette bannière ne demande pas, ne supplie pas, n'expie pas : c'est là que la vie devient politique. Ce n'est pas le deuil, mais le pouvoir et le cri : c'est nous, c'est vous, nous sommes ensemble dans la même lutte. La fête peut être subversion, désordre déstabilisant, et le cri libérateur au stade Maradona ou sur la Piazza del Plebiscito est une joie qui brise les calculs, qui secoue.

C'est pourquoi le drapeau palestinien au cœur du délire footballistique vaut mille draps étendus en silence. Celui qui étend des draps sans rien déranger n'est pas avec Gaza : il est avec lui-même. Gaza n'a pas besoin de notre pitié. Elle a besoin de notre alliance active. Nous ne devons pas la pleurer. Nous devons être.

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