Bons baisers de la république de Tunisie …

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” Je ne pense jamais à l’avenir. Il vient bien assez tôt, ” avait écrit Albert Einstein. Que de similitudes avec l’horizon tunisien qui s’est assombri prématurément. Et pour ne pas se voiler la face, je ne connais personne qui aime les versions falsifiées de l’Histoire, ni les trajectoires politiques préfabriquées. Et de plus, lorsqu’on oblige tout le monde à penser pareil, c’est que l’on voudrait que chacun d’entre nous ne pense vraiment. La mystification a beau être imposée à la masse, elle n’en reste pas moins ridicule car la réflexologie pavlovienne est un conditionnement qui écarte la critique intelligente.

À ce propos, l’aboutissement de Bourguiba fût de dompter le destin d’un peuple paisible, satisfait d’avoir obtenu son indépendance. Jusque-là, les Tunisiens étaient si comblés qu’ils n’avaient rien demandé et surtout pas l’abolition de la Monarchie. D’ailleurs, même le Destour n’en avait jamais formulé le désir. L’évidence aveuglante était que Bourguiba voulait l’autorité pour lui tout seul afin d’instaurer une Dictature trentenaire. Il aurait pu s’accommoder d’être un bon premier ministre d’autant que Lamine Bey lui avait cédé les clés de la maison royale en acceptant d’opter pour une Monarchie parlementaire.

Mais non, il lui fallait un stratagème machiavélique pour l’humilier après avoir accaparé le trône indéfiniment, ce qui était plus jouissif pour le pervers narcissique qu’il était. À partir de là, l’appareil répressif du parti unique n’avait cesse de laminer et de déshumaniser, veillant à ce que la maltraitance et les mauvais coups s’ébruitent en une propagande organisée de main de maître, pour paraître justifiés : police politique et mass media aux ordres, « chou3abs » relayant l’idéologie du despotisme, superlatifs élogieux, haute cour de justice téléguidée, confiscation des biens des contestataires, création d’un faux sentiment nationaliste, mise en place de la torture et des crimes d’état pour mieux réprimer et enfin enrichissement de la caste au pouvoir pour une meilleure obéissance au chef.

Il était question de montrer aux foules tous les stigmates d’un retentissant succès politique en annulant toute velléité de résistance, rendre puissant et invincible un Président cambrioleur et enfin enterrer de façon définitive l’Institution Monarchique. Il lui fallait donc l’assistance d’un parlement de compagnons à sa solde pour révéler sa traîtrise au grand jour et rendre légale une vraie usurpation de tous les pouvoirs.

L’amateurisme d’un Bey qui n’avait rien vu venir en raison de ses sentiments démocratiques, face à un requin de la politique aux dents bien acérées, épaulé par les responsables d’un empire colonial en déclin sommés par les États-Unis et l’ONU d’accorder aux peuples occupés leurs indépendances, voilà exactement le scénario du passage à la République. Ceci est explicitement attesté par la belle photo de Pierre Mendes France, vissée par le plus pur des hasards sur le bureau de son acolyte républicain d’outre-Méditerranée …

Alors, en clôture de l’année passée, il est normal de solder ses comptes. Pour toutes mes chroniques dominicales, quelques irréductibles contradicteurs au bord de la congestion, bercés par une idolâtrie maladive, m’enverront sans aucun doute des postillons en guise de vœux, mais je n’en ai cure.

Pour eux, s’il est aisé de croire que leur idole avait confisqué le trône en consécration d’une destinée prophétique, la bien-pensance fera admettre aux réfractaires de ce grossier mensonge que sans le recours au coup de pouce d’une diplomatie française aux abois, jamais la Tunisie de nos aïeux n’aurait changé d’institution politique …

Pour compléter ce qui n’est pas une boutade, l’idée d’une injustice immanente n’ayant jamais donné sa chance aux meilleurs, se reflète encore dans la vie politique actuelle. Trente années d’un Bourguibisme sans partage puis vingt-quatre années d’un BenAlisme ordurier, avaient construit une Nation bancale qui s’ébranla au moindre soubresaut. Pourtant, la Tunisie avait eu des hommes d’état exceptionnels que la République avait laissé macérer dans un bain attentiste et méprisant.

Elle leur avait préféré les renards, les pompeux, les bateleurs de foire, les déséquilibrés, les hypocrites et les indifférents de la Nation. Autrement, comment accepter qu’un vieux Président gâteux et maniaco-dépressif puisse garder les rênes éternellement, sans en référer une seule seconde à un peuple couard, détaché des évènements ?

Comment admettre qu’une coiffeuse et ses compères puissent prendre en otage l’équilibre financier de tout un pays ? Comment imputer à la seule classe politique actuelle, les mauvais résultats de plus d’un demi-siècle d’erreurs de gouvernance causées par les présidents d’hier ?

En tout état de cause, je vous laisse le soin de commenter l’actualité politique de la post-révolution. Mais la meilleure façon de ne pas se tromper est de comprendre que le retour à la réalité se paie cash après la fin du clinquant et du culte des apparences. Bien sûr qu’il faut pester contre toute la génération politique d’aujourd’hui car le pays continue à plonger, mais il ne faut pas oublier que tout le mal provient de celle d’hier, de n’avoir pas su transcender l’éthique de la République, en raison d’égos compulsifs, combattifs et auto-destructifs …

Le Grand Bourguiba était certes un homme cultivé. À force de grandeur, il aura rendu la Nation toute naine car il l’avait infantilisée en prenant des décisions importantes à sa place. En prenant en permanence le contre-pied de ses perroquets, j’affirme qu’il avait réalisé le hold-up parfait sur les générations futures pour promouvoir sa carrière politique.

Il n’y a pas à tortiller, un homme perverti par la fièvre narcissique qui brûle tant de politiciens bluffeurs et logomachiques n’est plus un homme tranquille qui peut prendre des décisions saines et indépendantes. Bourguiba avait embrassé la Tunisie de ses bons baisers de la République, diront ses orphelins, mais son baiser fût mortel car il l’aura embarrassée, embrasée et à force de l’étreindre, paralysée et asphyxiée.

À ce jour, la Tunisie fait encore de la peine et je persiste à croire que son déclin était programmé depuis le 25 Juillet 1957. La République d’hier et celle d’aujourd’hui ont cassé les sourires, assombri les regards et tourmenté l’avenir. Frédéric Darc avait écrit une réflexion qui vaut pour notre pays : ” chaque jour à vivre est une victoire. Et chaque jour vécu, une défaite ”.

Espérons des jours meilleurs en 2021 car ce beau pays se nourrit encore de la fragilité de l’institution républicaine. Il est encore cette tumeur enfouie au tréfonds de moult manigances politiciennes. Il est devenu ce monstre abyssal tapi dans les ténèbres de repères idéologiques qui s’affrontent en permanence en raison de clivages profonds. Au lieu de l’Union Nationale en temps de crise, la désunion est à elle seule, une autre grande misère politique …

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