Des mots dits, non maudits …

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En espérant vivement en Tunisie un gouvernement dans les plus brefs délais pour prendre en main le devenir du pays, je lis encore et toujours pour espérer mieux connaître le fonctionnement de la première République, étant donné que j’ai grandi au Maroc. Et je m’aperçois de plus en plus qu’il existe des politiciens véreux et des littérateurs courtisans qui n’avaient osé parler vrai, qu’une fois l’étau bourguibien resserré sur eux et que l’épouvantail qu’il représentait était devenu inoffensif.

Alors, pour la postérité, je les apostrophe en leur demandant le pourquoi de leur mutisme pendant leur cohabitation avec la Dictature et le réveil miraculeux de leurs esprits, aussitôt que la main de fer n’était plus acérée. Pour ma part, je n’aurai jamais pu être un partisan-caméléon à leur image, d’autant qu’au jour d’un autre 25 juillet, (1) Mirabeau s’écriait : ” est-ce à un peuple qui veut devenir libre, à emprunter les maximes et les procédés de la Tyrannie ? ”.

En des termes plus directs, pouvait-il convenir à Habib Bourguiba de blesser la Morale, la Justice, la Vérité et la Mémoire, après avoir prétendu que le pays avait été victime des Beys durant plus de deux siècles et demi ? Où fût sa logique de désigner un peuple de martyre lors de sa diatribe du Bardo et de continuer à le tyranniser à son tour durant trente années, lui imposant une présidence à vie anachronique qui n’eût d’intégrité que l’éloquence ?

Ahmed Ben Salah raconte sa Vérité (2), comme si elle avait une autre facette. Poussé vers la sortie après le fiasco de son projet collectiviste, il fût condamné à dix ans de travaux forcés puis à cinq années supplémentaires après sa tentative réussie d’évasion. Rentré en Tunisie, il règle alors ses comptes avec son maître du jeu, se retournant contre lui de façon violente. Mais où était-il quand l’idylle entre les deux hommes était au beau fixe, quand son intégrité physique était préservée alors que d’autres croupissaient dans les geôles de la Dictature ?

Voici ce qu’il écrivit : ” en Tunisie, la totalité du pouvoir est entre les mains d’un homme, le - Père - du peuple. Son exercice est constamment et profondément soumis aux humeurs, aux allergies, aux malaises ou maladies, aux motivations secrètes du Père . Investi au départ par le sous-développement du surpouvoir que l’on sait, le Père rejette ce renouvellement. Ainsi, la vie politique, le pays, demeurent-ils prisonniers de ce -Périalisme-, qui rejette et détruit ce qui ne dérive pas directement de la personne du Père. Le tout, enrobé dans les atours du vocabulaire universitaire, du langage du progrès, de la raison et souvent des larmes destinées à relancer et à fertiliser l’attachement au - Père - ...”

Tahar Belkhodja, proche collaborateur de Bourguiba, définit trois décennies dans l’œuvre de Bourguiba, sans doute la dernière étant de trop (3). Produit du système, acquis à l’éthique bourguibienne, il écrivit cependant : ” dans la pratique, et en tout état de cause, les pouvoirs étaient si imbriqués que le principe de leur séparation, devint une fiction qui devait retourner Montesquieu plusieurs fois dans sa tombe ”. Et Si Lahbib, n’aurait-il pas été une toupie dans son cercueil, s’il avait eu connaissance de ce commentaire ? …

Bourguiba Junior, dans ses entretiens exclusifs avec Mohamed Kerrou (4), avait raconté : ” comment pouviez-vous éviter que l’homme qui a été le héros de la lutte de libération nationale et le fondateur de la République et qui, à partir de 1961, s’est entourée d’une cour qui ne cesse de chanter ses louanges et de lui dire ce qu’il avait envie d’entendre, ne soit l’objet d’un culte et d’une hagiographie ? ... Quand il se regardait dans la glace, c’était Narcisse se mirant. Les deux ingrédients, le narcissisme et l’orgueil étaient son talon d’Achille. À ces deux traits de caractère, s’ajoute le succès qui, mieux que toute drogue, enivre ... Son parcours n’était pas sans faute ; il s’auto-glorifiait, mais ne manquait pas de s’auto-critiquer”.

Quant au passage sur Salah Ben Youssef, nous avons droit à la même appréciation, voulue par la propagande étatique : le pays avait été sauvé du Nasserisme et du pouvoir des arrogants. Implicitement, le meurtre du co-leader du Destour avait été une obligation morale et physique pour le clan Bourguiba et ses idolâtres …

Mohamed Mzali relate la manière bourguibienne d’expédier au tapis ses adversaires dont il voulait se débarrasser (5) : ” le caractère peu crédible des six actes d’accusation, l’incompétence légale de la juridiction et le caractère excessif et non fondé du jugement amenèrent les stratèges en chambre, acharnés à ma perte, à utiliser d’autres méthodes en rapport avec leur niveau pour me nuire. La rumeur et ses poisons furent sollicités pour me porter des coups que l’ordre judiciaire domestiqué ne réussit pas à me donner, de façon crédible ” ...

Béji Caïd Essebsi, lui, était resté loyal à son maître comme l’aurait été tout disciple hypnotisé par la propagande. Dans son livre (6), pas un seul mot sur les Beys, lui qui en était un descendant et pas de commentaires sur trente ans de despotisme.
” Cinquante ans après, l’édifice est debout. Il a résisté à tous les courants contraires et il continuera à tenir tant que ceux qui le dirigent sauront s’élever aux vertus de ses fondateurs, aux valeurs de la probité et de l’abnégation et aux idéaux de la République ”, écrivit-il.

Sacré Béji, toujours aussi visionnaire, mais c’était avant son passage au palais de Carthage et avec 72 % de suffrage exprimé au candidat anti-système lors des dernières élections présidentielles, peut-être avait-il écorné l’image du maître ? …

Quant aux autres flagorneurs d’outre-Tunisie à la langue bien rugueuse, ils sont légion. Eux, les super-défenseurs des droits de l’homme ”at home”, n’hésitent pas à sublimer les tortionnaires d’ailleurs. Mon intelligence ne peut comprendre qu’ils excusent le monolithisme politique, le pouvoir absolu en République régi par une Constitution taillée sur mesure et sous contrôle d’une Assemblée Nationale à la totale dévotion d’un Dictateur.

N’est-il-pas vrai que l’État était condamné à s’affaiblir et à se lézarder face au chantage d’un vieux Président, à la santé précaire, accroché au pouvoir telle une sangsue ? N’est-ce pas le dos tourné au fonctionnement normal de l’institution républicaine, qui nous avait valu Benali et sa belle-famille prédatrice, une pseudo-révolution de jasmin et l’effritement politique et économique d’une Nation ?

Démesuré, ce silence livide face aux victimes de la Dictature. Inexplicable, cette dévotion outrancière envers celui par qui le scandale était arrivé. Je reste persuadé que si Bourguiba était arrivé à l’ère des réseaux sociaux, il ne serait pas resté une minute de plus au pouvoir. Et dire que même ceux qui n’avaient pas vécu son époque, continuent à le défendre par procuration ! L’extrême-onction, récitée tous les jours par nous tous devant l’état de délabrement du pays, avait trouvé ses origines en première République, les autres se chargeant de lui damer le pion …

Lorsque nous mettons des mots sur les maux, les dits maux deviennent des mots dits et cessent d’être maudits (7). Je ne me tromperai jamais en prenant le contre-pied des perroquets du Bourguibisme car je hais le charisme, le savoir, la gouvernance et la méthode Coué dont l’aboutissement est la Dictature pure et dure …


Notes :

(1) 25 juillet 1789, onze jours après la prise de la Bastille

( 2 ) Pour rétablir la vérité. Cérès Édition Diffusion, 2008, 310 pages

( 3 ) Les trois décennies Bourguiba. Nouvelle édition revue et complétée. 285 pages

( 4 ) Notre Histoire. Cérès Éditions. Deuxième édition. Décembre 2013, 382 pages

( 5 ) Un premier ministre de Bourguiba témoigne. Sud Éditions Tunis, 2011. 425 pages

( 6 ) Habib Bourguiba. Le bon grain et l’ivraie. Sud Éditions Tunis. 525 pages

( 7 ) Citation de Guy Corneau , adressé par un ami qui se reconnaîtra

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