Bourguiba et l’islam remodelé …

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En ce mois sacré de Ramadan, le désir de comprendre pourquoi Bourguiba s’était comporté avec l’Islam tel qu’il l’avait fait, appartient à la sphère de la sensibilité de chacun d’entre nous. Mais dans un pays encore conservateur, fallait-il rompre avec la voie de l’équilibre parfait et chercher les provocations répétées qui n’étaient pas la priorité urgente de la Tunisie indépendante? Substituer la précipitation à l’intelligence en sublimant le lien entre la foi et l’émotion et en bouleversant les sacro-saints fondements religieux, personne ne l’avait tenté jusque-là en Tunisie musulmane …

Le temps des toupies était bel et bien arrivé: Bourguiba, homme de convictions, politicien ultra-moderniste, allait faire pleuvoir sur le pays un déluge de dispenses que même le gouvernement français n’avait jamais osé imposer par la force, en soixante quinze ans de protectorat.

Dans notre vie intime, il est normal que la relation avec le divin soit différente pour chacun d’entre nous en fonction de nos convictions et de l’éducation religieuse que nous avons reçue.

Mais un Président de la République, esclave de son tempérament inconscient, des circonstances imposées du dehors et des élans de pusillanimité dus à sa propre vision des choses, ne peut contraindre par la force mentale ou par l’arbitraire tout un peuple au suivisme aveugle de ses lubies …

À propos, combien de fois ai-je lu cette phrase qui symbolise toute l’absurdité, le néant et toute l’ignorance des textes sacrés et le revirement à contre-sens de nos traditions ancestrales : ” Bourguiba était en avance sur son temps ” ! Pour son temps à lui, peut-être et c’est son affaire, mais pour tout un peuple, il lui fallût être en phase avec les données du moment. L’islam, sans le pilier du ramadan, n’est rien de moins qu’un fantasme taillé sur mesure par les islamophobes …

Il est des instants où la vacuité spirituelle à se sentir vivre, se doit de transcender le sentiment de l’intime. Ce n’est pas le rôle d’un président de la République de tirer sur les sensations des autres comme sur des élastiques pour voir leur foi s’ébranler et tendre vers la culture d’une laïcité importée qui dé-régule nos spécificités …

Et d’ailleurs, si l’on s’en tient stricto-sensu à la définition de la laïcité, celle-ci exige la neutralité de l’Etat, des collectivités territoriales et des services publics. Elle n'est pas une opinion parmi d'autres, mais la liberté d'en avoir une. Elle n'est pas une seule et unique conviction, mais le principe qui les autorise toutes, sous réserve du respect de l’ordre public, bien évidemment.

Séparer la société civile de la société religieuse, c’est faire comme le pays colon, même si nous n’avons ni la même histoire qu’eux, ni la même religion, ni les mêmes traditions. Et en plus, la France n’est pas un exemple avec ses déviances sociétales issues de l’ultra-libéralisme …

Farhat Othman, ancien diplomate et écrivain, s’accorde à distinguer deux périodes dans l’instrumentation de la religion par Bourguiba. D’abord, celle de la lutte pour l’indépendance où il fût un quasi-salafiste, veillant à ne pas heurter le sentiment traditionaliste populaire, quitte à aller contre les réformistes de la mosquée de la Zitouna. Ainsi, avait-t-il défendu le port du hijab ou du couvre-chef comme traits caractéristiques de l’identité tunisienne. C’était sa façon de lutter contre l’absorption de cette identité par celle du colonisateur.

Par la suite, ayant en vue de réaliser son projet, il fit volte-face, reniant ses propres convictions d’antan. C’était la stratégie qu’imposaient les deux moments de sa guerre, le premier contre le protectorat et le second contre le sous-développement, deux temps tactiques d’une même stratégie, d’avant et d’après l’indépendance; et cela a correspondu à deux statuts : chef politique en premier lieu et chef religieux en second ...

La Religion, quelle qu’elle soit, n’est pas une sensation mentale. Une fois éduquée notre imagination à être supérieure à notre conviction, elle ne ressemble plus à rien. Manger et boire pendant un mois pour lutter contre le sous-développement est une hérésie. C’est plutôt la mauvaise gouvernance au sommet de l’État, la redistribution inégale des richesses, la corruption endémique et les mauvais choix économiques qui font glisser un pays vers la précarité et nous en avons l’exemple aujourd’hui.

Décourager les compatriotes de faire le pèlerinage une fois dans leur vie est une atteinte à leur liberté de foi. Leur faire croire que cet argent devrait être injecté dans les rouages économiques du pays, alors quid des sommes fatidiques non récoltées à cause de l’évasion fiscale, du détournement des devises dans les paradis fiscaux et des dépenses farfelues du train de l’État, de son Président, de son épouse et de sa cour ?

Et enfin, encadrer la pratique du sacrifice du mouton au lieu de la dénigrer, comme cela se fait en Turquie, n’est-ce pas une solution plausible pour continuer à pratiquer sa foi en toute sérénité ?

Ainsi, jeter l’opprobre sur les citoyens croyants pour les culpabiliser de vivre leur spiritualité comme ils l’entendent tout en permettant à l’État de se défausser de ses vraies prérogatives, est une façon de détourner l’attention des compatriotes des problèmes réels de leur quotidien...

La discussion pourrait être longue, mais je conclurai que la dépersonnalisation de notre Religion avait commencé avec Bourguiba car il avait créé le vide religieux en fermant la Zitouna, en chassant nos ulémas les plus tolérants, en dénigrant les piliers de notre Islam séculaire pour laisser apparaître des farfelus importés d’autres cieux, imbibés d’extrémisme, pratiquant un Islam défiguré, rigoriste et violent …

C’est cela, l’ultime impudeur. Elle n’abrite aucune foi, aucun lieu, aucun respect pour Dieu car Dieu, c’était lui et personne d’autre, lui, qui voulût imposer l’expression d’une autre facette de sa Dictature ...

Plus un homme monte haut, plus les contre-pouvoirs sont laminés et plus il est faillible. Rabbi y semhou, puisque la dimension religieuse est encore au centre du débat politique d’aujourd’hui, reléguant au second plan la question économique, pourtant primordiale pour sauver notre Tunisie de toutes sortes d’insuffisances générées par une République immature …

Bourguiba ou l’art de raguser. Encore une fois …

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