J’écris et j’assume …

Qu’aurait été Bourguiba sans le coup de pouce du pouvoir colonial français et du Bey ? Un simple bouchon qui vogue au fil de l’eau qui ruisselle. Un avocaillon dans une bourgade sans renommée. Un petit rien, pour ne pas dire, pas grand-chose …

Ce furent Pierre Mendes France et Lamine Bey qui lui avaient fait accomplir le grand saut en avant vers un destin exceptionnel. Celui qui le fit maintenir maintes fois en résidence surveillée avait eu droit à tous les honneurs, ainsi que son épouse Marie-Claire. Puis, au compatriote qui l’avait nommé grand Vizir du premier gouvernement libre de l’après-indépendance, il sera jeté aux fers, délesté de ses biens et sa conjointe Jneïna Beya, brutalisée, avant de rendre son dernier souffle des suites d’une hémorragie cérébrale massive.

Aussi, à chaque fois que je me remémore cette différence de traitement, j’ai toujours du mal à réviser mon opinion à propos de la lâcheté, de la trahison et de l’éternelle soumission à l’occupant. Mais, c’est avant tout grâce à son tempérament de combinard de cour, de mangeur à tous les râteliers, profitant des faux pas de ses interlocuteurs et en annihilant la force de ses adversaires, que Bourguiba, sans peur et sans regrets, avait su s’imposer sur la scène politique. Par principe de renvoi d’amabilité, il était donc normal que la photo de son acolyte Pierre Mendes France avait continué à trôner sur son bureau de Carthage tandis que celle de son Roi fut effacée à jamais des tablettes de notre passé …

La prise du trône étant actée, désormais, le microcosme politique et le macrocosme populaire mangeront du Bourguiba, matin, midi et soir pendant trente ans, jusqu’à l’écœurement. Ce sera tous les jours hallali pour lui permettre de dévorer tous les cerfs qu’il avait choisi d’achever pour répandre les règlements de comptes que lui seul comprenait.

Au lieu de plaider pour la hauteur d’âme et la sérénité des diverses cohabitations, les Houssayni, Tlili, Ben Youssef, Hachani, Chraïti, Ben Salah, Ben Ammar, Attya, M’Zali, Naccache et nombreux autres, seront jetés à la vindicte populaire. Pendant son long règne, Bourguiba n’avait agi que pour s’auto-encenser graduellement et faire plonger dans la bérézina la plus noire, tous ceux dont le visage ne lui revenait pas et qu’il conduisit à la case prison, influençant les sentences des juges qui lui mangeaient à la main …

À l’incapacité de toute opposition à ses volontés qui valaient pour ordre, répondit sa politique à courte vue, sans aucun souffle d’horizon. La responsabilité dans le déclin progressif des institutions est à partager entre lui, sa Cour rapprochée, ses ministres et le troupeau de citoyens qui s’étaient tous rangés derrière les lubies d’un patron maniaco-dépressif dont la lucidité et l’intelligence étaient en déliquescence continue. À mon sens, ce sont les sentiments de cet ordre qui ont amené les bouleversements actuels …

Quoiqu’il en soit, aujourd’hui, certains lui vouent toujours un culte posthume de la personnalité même si son âme doit être au purgatoire, vu le mal gratuit qu’il avait engendré autour de lui. Il n’est pas permis de dire que c’était mieux avant alors que son totalitarisme nous tenait en joue, d’autant que la fin du protectorat laissait entrevoir un respect des libertés et non une fin de siècle injuste et cruelle.

Au lieu d’assurer une continuité historique, il avait appris aux Tunisiens que la responsabilité des échecs du pays était toujours à mettre sur le compte des prédécesseurs, hormis sa glorieuse Dictature qu’il fallait blanchir, en omettant sciemment de remonter au déluge qu’il avait initié en tant que naufragé de la vieillesse …

Mais, il y a plus étonnant encore. C’est que le camp de l’Histoire, bercé et confisqué par lui, n’aura jamais émis les vives réserves à l’égard de son autocratie, préférant toujours médire les Beys Houssaynîtes, les morts ayant toujours tort par excellence. Toutes les déclamations grandiloquentes et démagogiques pour éteindre l’aura d’une dynastie séculaire auront porté leur fruit. Dans un pays politiquement immature, l’on persévère de casser du Bey et de porter au zénith un Tyran. L’histoire qui n’aurait pas dû repasser deux fois les mêmes plats, continue de le faire dans l’indifférence ou la connivence nationales …

Ainsi, si chacun peut se croire innocent d’avoir cru en Bourguiba, de l’avoir idolâtré en permanence, je jure que je soupire de soulagement de l’avoir dénoncé à chaque fois dans mes notes. Aux balbutiements de ma conscience qui s’interroge sur mes convictions, mon intelligence ne permet jamais les faux-semblants. La médiocrité et la sincérité ne devant jamais emprunter la même route, je n’ai ni honte, ni blues d’être en accord avec mes prises de position. Se délecter de la mesquinerie d’autrui reste le comble de l’hypocrisie et le summum de l’apesanteur intellectuelle …

Pourquoi soutenir un Président fébrile, agressif, narcissique, provocateur, admirateur excessif des traditions des autres, supplétif de la France, effaceur d’hommes et de religion, incompétent en socio-économie, fossoyeur de l’Histoire et des monuments, gouvernant sans justice au mépris des fondamentaux institutionnels ?

Ces questions aux ramifications invraisemblables, je me les pose toujours, sans avoir à rougir de mes réponses. J’assume pleinement ce que j’écris : la présidence à vie, l’absence de libertés, le vide religieux, la nouvelle stratification sociale, la stagnation de l’esprit critique, la division idéologique, l’appauvrissement de la fraternité, le retour à la lutte des classes et la préférence territoriale, y sont certainement pour beaucoup dans l’ébranlement des fondations de notre pays …

C’est parce que j’aime la Tunisie que je me dois d’être impartial. Dans ce platonisme passionnel, je discours à place de ce pauvre pays qui vit une incapacité énorme, un vide immense et une incompétence totale de ceux qui l’ont coulé. Ce cauchemar avait débuté par le moment Bourguiba, amoral, purement esthétique et individualiste.

Aujourd’hui, des reflets âcres flottent sur les grandes meurtrissures de notre Nation. Et moi-même, qui me promène ici en remuant ces tristes souvenirs, avec quelle horrible précision je me sens concerné, souffrant pour un pays qui aurait dû être un Paradis, si ce n’était la faute de ceux qui l’avaient empêché d’exister et de grandir harmonieusement …

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