Un casse-tête constitutionnel …

À la Marsa, repose Lamine Bey, le dernier Roi régnant, au cimetière Sidi Abdelaziz avec son épouse et certains membres de sa famille. Pour lui avoir rendu hommage, le décor est modeste : un tombeau simple, une épitaphe des plus communes, gravée sur un marbre plus qu’ordinaire.

Plus loin, à Monastir, dans un mausolée pharaonique construit de son vivant, le Président fondateur de la République attend, lui aussi, le jour du jugement dernier. Celui que l’on prétendait immensément riche grâce aux bijoux collectionnés durant deux siècles et demi de Beylicat, ira côtoyer dans l’autre monde, son fossoyeur, déclaré pauvre par complaisance, n’ayant amassé que quelques dinars en banque. Il n’y a qu’à voir leur dernière demeure pour saisir que leur combat face à l’argent était déséquilibré.

Mais, des hyènes ricaneuses s’agglutinent encore pour encenser le mal et diffamer le bien, une habitude qui a la dent dure dans ce pays. À un moment, il faut tout de même savoir remonter à la racine du mal, s’interroger sur les causes, la façon dont certains gouvernants étaient arrivés au Graal, sur les pouvoirs illimités dont ils disposaient, comment ils les exerçaient et comment tous les contre-pouvoirs étaient laminés.

Dans une large mesure, c’était l’irrespect de ce cadre institutionnel qui avait prédéterminé tous les comportements politiques à venir. Et celui des citoyens, pour la plupart semblables à des girouettes, acclamant toujours le plus fort dans son apogée et sans pitié pour lui lors de son déclin, lui préférant le nouvel comme fort du pouvoir …

Pas évident donc d’aller à contre-courant de la propagande, s’attaquer aux rumeurs infondées et penser que Bourguiba avait dénaturé l’exercice de la fonction présidentielle. La matrice de la République avait été contaminée irréversiblement, favorisant la démagogie et la venue d’arrivistes égotiques dans la sphère du pouvoir. Beaucoup n’avaient recherché que le partage des dividendes, lesquels une fois touchés, avaient propulsé leurs bénéficiaires dans le camp des défenseurs de la Dictature. C’est même leur marque de fabrique, tant ils sont opportunistes, s’alliant au nouveau venu dès que les intérêts changent de camp, délaissant leur favori dans la solitude la plus crasse.

Lesquels d’entre-eux reconnaîtront un jour que la République avait été imposée par effraction ? Qu’elle ne fût qu’un viol anti-démocratique, voulant juste greffer le suffrage universel comme en République-mère et qu’elle n’y arrivera que soixante-quatre années plus tard ? Et encore, avec des vices de procédure évidents, tellement le moule avait été éloigné de l’original.

Alors, oublié le viol, pardonnée l’effraction, légitimés les pouvoirs exceptionnels concentrés dans les mains d’un homme supposé différent, même si révolution des mœurs politiques il y avait eu. La transition entre hier et aujourd’hui trouve sa justification dans la léthargie maladive de notre peuple. C’est la même acculturation politique, la même rengaine qui se répète, le même vécu qui resurgit, pour faire en sorte qu’il ressemble au passé et apparemment, c’est ce que les Tunisiens méritent, en raison de leurs choix coupables répétitifs …

Pourtant, la Présidence affirme aujourd’hui que les institutions sont encore légitimes et efficaces. C’est la souveraineté populaire qui prévaut, dit-elle encore. La Nation n’a besoin que d’un rééquilibrage qui devrait donner au Président plus de responsabilités de gouvernance. Et la peur des classes laborieuses justifie ce nouveau verrouillage démocratique pour le bien du pays, bien évidemment et pour sa seule stabilité, valeur suprême. Sans gouvernement, ni parlement mais avec une timide opération mains propres, qui tarde à s’afficher légalement au grand jour.

C’est l’habituelle culture de l’affrontement qui prévaut, l’absence d’un encadrement législatif et la non-divulgation d’une feuille de route qui devraient inquiéter. Bientôt, le pays sera fixé sur son destin …

Au final, à Carthage, il ne fait pas bon s’attaquer aux mythes présidentiels. À chaque période, la face cachée de l’Histoire doit rester aux oubliettes. Jusqu’à quand tiendra la III -ème République sans rompre, tel le chêne dans la fable de La Fontaine ? Habib Bourguiba avait su profiter d’une situation politique inouïe en devenant un monarque autoritaire. Le despote Zine Ben Ali l’avait mimé à la trace. Béji Caïd Essebsi avait joué d’espièglerie. Puis enfin, après une période transitoire, Kaïs Saied, élu démocratiquement, se retrouve comme un roitelet impuissant.

Alors qu’en France, le passage à la VI -ème République est réclamé pour éviter la dérive du Chef de l’État et renforcer l’autorité du Parlement, la Tunisie, elle, fait le chemin inverse. C’est dire l’affaissement de la fonction présidentielle, laquelle, par trop ou pas assez d’autorité, rend instable et inefficace l’institution. De l’impuissance des politiques qui n’arrivent pas à translater la Nation dans le XXI -ème siècle, le nombril de la République aura pris un sérieux revers au moral.

La vie des Tunisiens aussi, d’autant que les clashs entre un Président potiche, un Chef de gouvernement indocile et celui d’un Parlement en proie à des querelles interminables, avaient généré une vacuité de la vie politique …

Alors, pourquoi cette introduction ? Parce que la Tunisie aurait pu prendre un autre virage en faisant partie des monarchies parlementaires les plus stables au monde. Le 30 septembre 1962, décédait Lamine Bey, après cinq années de souffrance et d’humiliation dans le silence, l’anonymat et le fatalisme les plus abjectes. Enterré avec lui, son projet de monarchie constitutionnelle qui lui tenait à cœur et qui aurait propulsé notre Nation tri-millénaire dans une ère de démocratie, de fraternité et sans doute de prospérité si l’un des protagonistes avait tenu son rang.

Bourguiba, le tyran maniaco-dépressif et mégalo-paranoïaque avait fait déjouer ce plan qu’il avait offert en diversion et piloté en collusion avec le pouvoir colonial, jusqu’à la dernière banderille mortelle. Bourguiba aura, certes, torpillé l’institution Beylicale, l’effaçant des tablettes de l’Histoire. Mais, il aura aussi été le poison présidentiel de la République qu’il avait fondée.

À force de tabou absolu, secondé par une onction populaire aveuglée par son endoctrinement populiste et soumise à l’hypertrophie de son commandement autoritaire, il aura vite fait de coaguler l’institution républicaine. Il en résulte aujourd’hui un méli-mélo institutionnel hallucinant sur lequel un constitutionnaliste jette un voile pudique en s’accommodant d’un concept hérité du Bourguibisme …

Qu’il faille changer le cours de l’Histoire, j’entends bien. Mais toujours dans un cadre de légalité. Sinon, on revient à la même mélopée du 25 juillet 1957. Une Nation n’est jamais mieux servie que par la Loi et par le Droit. Ce qui se passe aujourd’hui est un signe de dégénérescence démocratique, un champignon qui trouverait un terreau fertile dans un régime qui présente des signes d’absolutisme car là, ou encore il existe une forte concentration du pouvoir et peu de contrepouvoirs, le pire peut surgir.

L’État doit reprendre la main certes, mais en utilisant ses atouts constitutionnels et non pratiquer la chasse aux sorcières de manière vengeresse. L’idée de mettre la Tunisie en processus de rectification raisonnable est une solution plausible pour faire redémarrer l’économie d’un pays ravagé par la discorde entre les groupes politiques. Que l’on s’y emploie donc avec des prérogatives saines comme la dissolution du parlement, la convocation d’élections législatives et la soumission d’une nouvelle Constitution au peuple par voie référendaire.

Un Président honnête ne peut contrôler tout et empiéter sur tout. Il ne peut non plus prendre des décisions unilatérales en prétendant incarner seul, l’intérêt général. Le pilotage de la Tunisie est si complexe qu’il faut que l’ordre du jour revienne à une nouvelle assemblée constituante et à un autre gouvernement.

Les Tunisiens sont prêts à soutenir leur Président, même s’ils ne se réveillent pas tous les matins en se demandant s’il faudrait modifier la Constitution. Ce qu’ils veulent avant tout, c’est que le chômage baisse et que leur pouvoir d’achat progresse afin qu’ils retrouvent un quotidien des plus décents …

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