La dichotomie de la République …

Malgré une révolution pour la liberté, le plus troublant est que les Bourguibistes sont restés fidèles à leur Dictateur. Ils continuent à le vénérer aveuglément, nonobstant ses frasques, ses abus de pouvoir, ses crimes d’état, la systématisation de la torture et sa philosophie, résumée en le culte de sa personne. Il est étrange d’être en face d’une secte en adoration devant son gourou, refusant de voir ce qui saute aux yeux, que l’on devrait dénoncer après un règne et un héritage peu glorieux.

Il n’y a que les oublieux qui défendent un passé en établissant une jauge d’appréciation des hommes politiques en comparant leurs mauvaises actions, comme s’il existait un moindre mal sur l’échelle de la malfaisance. Quand on prétend être un vrai humaniste, protecteur des droits citoyens et partisan du jugement juste, dérouler le tapis rouge à la moindre commémoration d’un Tyran, devrait provoquer un sentiment de honte plutôt que de grandeur.

À l’inverse d’adversaires politiques qui avaient cohabité sans heurts, en échangeant leur respect mutuel au-dessus des divisions partisanes, Bourguiba ne fera jamais de louanges à ses collaborateurs, même après avoir été chassé du trône. Loin des miasmes de sa gouvernance et des cafouillages de ses hommes de main, il sera jugé un jour par l’Histoire et non par ses pairs, victimes d’émotion frétillante et de complaisance évidente …

Alors, comment expliquer un tel degré de conditionnement chez ces dévots ? Sont-ils tous déraisonnables ? Certainement pas. Il s’agit d’une partisanerie de circonstance que le politologue américain Alan Abramowitz, en étudiant le cas Trump, qualifie de ”negative partisan ship”. Si l’on exclut de ce raisonnement, bien évidemment, les adorateurs génétiquement atteints de soumission maladive …

Exactement comme une rivalité entre deux équipes sportives, les partisans d’une idéologie se rassemblent autour de leur haine pour la doctrine opposée, beaucoup plus que leur adhésion permanente à leur cause première. Abramowitz explique que nombre de Républicains n’aiment pas Trump, mais ils détestent viscéralement les Démocrates. En République Tunisienne, c’est exactement le même raisonnement qui prévaut.

Pour contrecarrer l’islamisme politique, Bourguibistes et Bourguibôlatres se donnent la main pour ressusciter l’image du héros qui avait écrasé de tout son poids l’establishment politique. S’inspirant de lui, des parlementaires bornés usent du même procédé pour se tailler des habits présidentiels. Dans l’enceinte d’un environnement aussi toxique, un politicien comprend que sa meilleure carte pour être élu n’est pas de rassembler mais de cultiver la haine de l’autre. La méthodologie Bourguiba peut donc survivre, plus de vingt années après sa mort …

Faut-il raisonner et agir ainsi ? Les citoyens, surtout les zélateurs du Zaïm, sont-ils prêts à une forme d’union nationale ou d’ouverture, si infime soit-elle ? Le Président actuel, mis au pas par la nouvelle Constitution qui limite son influence, ne doit-il pas casser cette bipolarisation maléfique des forces politiques du pays ? Ne peut-il être le trait d’union en trouvant une position d’entente entre les belligérants ? Le pays serait-il condamné à vivre sous l’influence de Bourguiba ou des Islamistes, sachant que le premier avait créé les seconds, par laïcisation exogène à nos gènes ?

Malencontreusement, la Tunisie n’a jamais entamé ce travail de renégociation de ses fondamentaux en inculquant le respect réciproque à l’intérieur du système politique. Tout est à faire car l’affrontement binaire empêche le dialogue, le compromis, le vivre-ensemble et l’édification. À l’analyse de la situation actuelle, s’ajoute l’impression que la Nation est désormais un bateau ivre, sans pilote.

Une société d’apparence, dans un jeu de rôle où il faut faire croire que le politique agit et maîtrise la situation, au lieu d’exceller dans la recherche d’efficacité. Depuis l’indépendance, la Tunisie est devenue peu à peu sinistrée, alors qu’elle avait de l’atout qui ne fut jamais optimisé.

Si le projet de la République avait réussi, on passerait outre sur les mensonges, les manipulations, la mégalomanie et l’apparat. Il suffit d’observer les chiffres, les voir s’aggraver au fil des années, pour ne plus être dupe. Le chômage, la dette, les déficits, la compétitivité, l’investissement, la précarisation, la pauvreté, la délinquance et les braquages sont actuellement le résultat d’échecs évidents.

Alors que même le prix de la baguette implose, personne au sommet de l’État ne daigne lever le petit doigt pour un pauvre pays qui marche en crabe …

Au final, à qui la responsabilité majeure de la dégradation de la Nation ? À cause de la dichotomie des opinions, d’aucuns incrimineront le Dictateur Bourguiba et d’autres, les Satanés Islamistes. Mais le bon sens aurait dû blâmer l’institution républicaine, qui vécut sur les mauvaises bases de celui qui l’avait fondée et ses successeurs qui n’avaient jamais réussi à la transfigurer. Agressivité, violence, domination, clanisme, frustration et injustice auront entraîné un phénomène de compensation, générant conflits et antagonismes politiques.

Cette séquence théâtrale, à la solennité d’outre-tombe, doit plaire à Bourguiba et à la foule de ses semblants d’admirateurs qui l’avaient oublié durant treize longues années, en tapotant sur les épaules de Ben Ali pour espérer glaner une place dans la nouvelle hiérarchie de la République.

De ces incessantes références à la renaissance d’un patriarche oublié, l’on constate toute la versatilité du tunisien, toujours raccroché aux baskets du meneur de jeu du pouvoir. Et qui émerveille par l’art de faire avaler des couleuvres et noyer le poisson, en contournant les échecs présents par une évocation complice du passé.

C’est donc à cause de Bourguiba que la Tunisie n’avait pu embrasser un bel avenir. Sa fougue mal placée l’empêchait de maintenir le calme, la sérénité, le professionnalisme où la raison cartésienne aurait échafaudé des bons plans pour la Nation. Le peuple, retourneur de veste par excellence, continue de passer du réel à l’imaginaire, usant de métaphores apprises à coups de rumeurs officielles. Et le pays, après ces envolées lyriques préfabriquées, tombe en perte de vitesse et plonge dans un abîme de dégoût et d’indifférence.

Si le faux Jugurtha avait réussi sa mission au lieu d’apparaître à certains yeux comme un chef surnaturel et un marabout politique, il aurait imposé le respect. Il restera pour beaucoup cet avocat, fasciné par les embrouilles tacticiennes de Paris, qui aurait fait un excellent ministre de la IIIème République, comme disait de lui son acolyte Pierre Mendès France. Et un homme, visionnaire pour le coup, qui pensait avec Aboul-Ala Al Maari : ”les gens attendent la résurrection d’un Imam qui parlerait dans la multitude muette” …

Nous y sommes. Et c’est de là que naîtront les faux dévots religieux car le vrai Islam avait été enterré avec la fermeture de la Zitouna et les fausses fatwas émises par un despote maniaco-dépressif. La Tunisie, ou l’art de raguser à cause des extrêmes ….

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