« Israël a le droit de se défendre... »

« Israël a le droit de se défendre », énonce Macron quelques heures après que « l’État hébreu » a lancé une attaque aérienne de grand style contre la République islamique d’Iran, cibles militaires et civiles confondues. Cette formule (qui se rapproche dangereusement de celle des enfants gâtés et égocentriques du premier monde – « j’ai bien le droit... ») mérite d’être dépliée, sous toutes ses coutures. D’une part, il s’en déduit aisément qu’en toutes circonstances, quand la puissance israélienne attaque, part à l’offensive, elle se défend. Israël n’agresse jamais et se défend toujours, car c’est dans sa nature d’être constamment sur la défensive, du fait de l’hostilité constitutive du monde qui l’entoure. D’autre part, il faut complémenter et supplémenter immédiatement ce constat de l’argument du droit : quand Israël se défend, c’est toujours en état de légitime défense, c’est-à-dire à bon droit. Ce qui, réciproquement et selon la même logique, se dit : de quelque manière, par quelques moyens et en quelques circonstances qu’Israël attaque, c’est à bon droit.

Cette condition ne connaît ni limitation ni exception, comme le montre la récente offensive lancée aux yeux du monde entier, par surprise, sans déclaration préalable, destinée tant à détruire des sites stratégiques qu’à éliminer des dirigeants iraniens, qu’à terroriser la population et donc, en fin de compte, à faire capituler et tomber le régime iranien. Une campagne qui en rappelle d’autres, des plus anciennes et des plus récentes – notamment celles qui conduisit, en 2003, à la chute de Saddam Hussein.

Au demeurant, la formule choisie par Macron recèle un implicite : l’agression israélienne étant en premier lieu destinée, selon ses promoteurs et leurs (nombreux) supporteurs en Occident à empêcher l’Iran de développer un armement nucléaire, alors même qu’Israël est, de longue date, en possession de l’arme atomique, il s’agit bien de valider cet énoncé : Israël « a le droit » d’être une puissance nucléaire, l’Iran ne l’a pas. Sur quel fondement politique ou moral, reconnu par la communauté internationale ou autre instance dotée d’une autorité dépassant les frontières du pré carré macronien repose ce commandement ? – mystère... La bombe israélienne est-elle par définition un instrument de la paix perpétuelle comme la bombe iranienne serait, de même, une menace et un danger permanents pour la sécurité des peuples de la région et du monde ? Un tel postulat mériterait, pour le moins, un examen plus approfondi.

Ce que veut dire Macron est, au fond, clair et distinct : Israël étant ce qu’il est, Israël étant Israël, a tous les droits en matière d’usage de la force et de la violence armée contre les Etats et les peuples de la région ; l’Etat d’Israël, en tant qu’il bénéficie de la grâce d’être une démocratie intégrée au monde occidental et sponsorisée par les puissances composant celui-ci, Israël jouit et doit continuer à jouir d’un droit naturel à régenter cette région, avec notre bénédiction et notre soutien. Le seul fondement du droit auquel fait référence ici Macron s’expose ici en pleine lumière : Israël a le droit de mener un Blitzkrieg destiné à semer le chaos en Iran pour la bonne et simple raison qu’Israël est notre ami. Davantage que notre allié, le bras armé de l’Occident et des démocraties blanches dans cette région à tous égards stratégiques pour nos intérêts.

C’est donc là tout ce qui reste, dans le cerveau reptilien des élites gouvernantes occidentales, des démocraties blanches, de la révolution du droit international et de l’avènement des Droits de l’Homme sur les ruines de l’Europe au lendemain de la Seconde guerre mondiale – « Netanyahou, l’incendiaire du Reichstag global, l’Erostrate fasciste contemporain a “le droit” de mettre l’Iran à feu et à sang. Il a tous les droits. C’est un voyou, un Arturo Ui XXL – mais c’est notre ami. »

Un tel énoncé n’appelle pas de réponse – il ne s’agit que de le désosser. On ne parle pas avec des gens qui n’ouvrent la bouche que pour se porter garants des pyromanes du présent. On s’avisera un jour, mais trop tard, que la validation inébranlable de l’exception israélienne (avec tout ce que celle-ci entraîne) par les démocraties occidentales aura été le tombeau de celles-ci – le doigt dans l’engrenage de la normalisation de l’exception. Israël n’est plus le protégé, c’est le modèle, l’éclaireur, le pionnier – celui qui ouvre le chemin, vers l’abîme.

Cela fait longtemps que je me dis que notre arme la plus solide face à nos ennemis et autres pourvoyeurs de désastres en tous genres est notre obstination, notre endurance. Les pèlerins du néant que nous combattons, même quand ils s’accrochent au pouvoir et aux affaires, sont, dans notre monde, éphémères et jetables (si je commençais à faire le compte des ministres de l’Intérieur de la République que j’ai vu passer depuis que je m’intéresse à la politique, aux affaires publiques...), tandis que notre obstination, elle, demeure constante et repose sur un sol solide : la détermination à opposer les moyens de la pensée à leurs turpitudes et au Todestrieb qui les met en mouvement, à contre-apposer des mots, des phrases, des énoncés qui servent de point d’appui à des ripostes possibles à leur nihilisme congénital – la destruction et la production du chaos dont ils sont les agents plus ou moins somnambuliques. Des mots, des phrases, des énoncés destinés à réarmer la pensée qui s’oppose et résiste à cette violence disruptive, facteur toujours plus puissant de désorientation parmi les gouvernés. Je n’ai jamais été aussi content que lorsque certain.e.s m’ont dit, en commentaire de textes que j’avais pu publier à chaud, dans les premier temps de la destruction de Gaza, suite au raid du 7 octobre 2023, que ces écrits comme sortis des catacombes, les avaient tant soit peu aidé.e.s à s’extraire de l’état d’anéantissement moral et de suffocation politique dans lequel les avait plongé.e.s la politique de la terre brûlée dans laquelle s’était alors engagée l’armée israélienne sous les applaudissements bruyants des élites occidentales.

L’endurance de la pensée qui, en dépit de tout, cherche à se traduire en mots et en phrases dans la plus rigoureuse des solitudes et qui, même de façon infinitésimale, relance le contre-champ, dans des conditions aussi anéantissantes que celles-ci, c’est alors la seule arme qui nous reste quand, pour le reste, tous les fanaux se sont éteints les uns après les autres. Mais, à l’usage (l’Histoire, en la matière, ayant une certaine propension à se répéter), il s’avère que cet acharnement n’est pas vain – les incarnations disparates du nihilisme intrinsèque de la Caste passent, notre obstination, elle, continue de tracer son sillon. Nous étions déjà là, au temps de Pinochet dont le spectre blafard est bouffé aux mites depuis belle lurette, au magasin des antiquités séditieuses…

Notre obstination, donc, à penser contre la production du néant, contre les pathologies du (des) pouvoir(s) a en principe, le souffle plus long que toutes les bouffées de violence destructrice émanant de la Caste. Et pourtant, me disais-je ces derniers jours, à voir s’égrener sur le fil de l’actualité les nouvelles des derniers massacres à Gaza, de la famine organisée par l’autorité israélienne et, raffinement suprême, de la famine imaginée comme moyen de nouvelles tueries, avec l’entrée en lice de fausses organisations humanitaires destinées à attirer les affamés dans le piège de fausses distributions de nourriture pour mieux les massacrer encore et encore, et pourtant, dans ces circonstances, c’est bien l’obstination des tueurs, les bains de sang devenus routine, la machine de mort en pilotage automatique qui prend le pas sur ce qui nous anime et nous inspire face au crime, au génocide en continu, désormais – que dire de nouveau, qui ne relève pas de la pure et simple indignation humanitaire, face à l’imperturbable persévérance des opérateurs de la machine exterminatrice ?

Or, ce qui importe, dans une telle configuration, face à un crime d’Etat (un crime collectif) de cette ampleur, un crime dont la singularité tient à ce qu’il ne fait pas seulement date mais époque, c’est de ne pas se cantonner dans le registre de l’indignation et de la longue plainte, la litanie des énoncés qui disent le dégoût et la colère face à la durée dans laquelle s’est installé le crime. Il importe que la pensée qui l’affronte, ce crime, relève le défi en montrant qu’elle ne succombe pas aux facilités de la répétition, qu’elle ne se trouve pas cantonnée dans le registre de la protestation devenue rite et routine. Il faut qu’elle se relance sans cesse face au crime qui, lui, est perpétuellement inventif – la preuve, ici, le surgissement récent de ce contre-feu pseudo-humanitaire cornaqué par l’autorité militaire israélienne abouchée avec d’anciens agents de la CIA, en vue d’assurer la continuité du massacre... Or, l’effet d’exténuation que produit l’installation du crime dans la durée a pour effet que passé un certain stade, l’endurance de la pensée s’émousse – on a l’impression d’avoir déjà « tout dit », l’attention se relâche, l’inspiration fondée sur la colère se relâche. Ce n’est pas à proprement parler que l’on serait tenté de passer à autre chose, mais l’élan qui porte à ouvrir chaque matin son ordinateur en vue d’administrer le contre-poison faiblit.

C’est en réaction à cette fatigue de la pensée, providentielle pour l’ennemi, attendue par le parti du génocide que survient cet article – une tentative de réactivation du contrechamp, de relance de la réflexion à propos de cela même qui nous exténue et, conséquemment, entrave la réflexion, à nouveaux frais, à nos risques et périls.

Ce qui est devenu tout à fait clair au fil du temps, depuis le 7 octobre 2023, c’est que la destruction de Gaza et ce qui maintenant s’y enchaîne, l’accélération de la colonisation de la Cisjordanie, l’occupation de nouvelles portions du territoire syrien en vue de leur annexion, et, aujourd’hui, l’agression israélienne contre l’Iran se déroule sur deux plans, deux versants : le premier qui se produit sur le terrain et dont la tournure est essentiellement militaire, massacrante et conquérante ; et le second qui se déroule à l’extérieur des espaces à détruire ou/et à conquérir, à l’échelle globale et tout particulièrement en Occident, dans le monde blanc, dans le Nord global et dont la modalité est une combinaison de police des discours (imposée de manière toujours plus intimidante et répressive) et de softpower. Ces deux fronts sont complémentaires et coordonnés, inséparables l’un de l’autre. L’agitation conduite sans relâche par les élites occidentales autour des motifs répulsifs de l’antisémitisme et du terrorisme, constamment associés au souvenir cultivé comme terrible et tétanisant du 7 octobre, ceci constitue bel et bien le second front sur lequel se déroule la campagne de dévastation et de conquête conduite par l’Etat d’Israël ; ceci en vue non seulement de réaliser le rêve sioniste du Grand Israël (une présomption mégalomane qui en rappelle d’autres), mais d’assurer l’hégémonie durable de l’État sioniste dans toute la région, en connivence avec les Emirats, les Etats-Unis veillant en permanence au bon déroulement des opérations – les « Accords d’Abraham » poursuivis par des moyens... « plus violents », pour paraphraser Clausewitz.

La bataille conduite sur le second front tant par les sionistes de l’arrière que par les élites gouvernantes a une fin distincte : empêcher que se forme dans les terres blanches du Nord global et des démocraties de marché une opinion majoritaire consciemment et vigoureusement dressée contre la criminalité politique israélienne ; empêcher que prennent forme des pensées partagées et des corps d’énoncés qui s’opposent à cette criminalité, en se tenant à la hauteur de celle-ci ; c’est-à-dire en ne se cantonnant pas dans le registre humanitaire – en l’évaluant et la jugeant politiquement – une criminalité relevant d’un nouveau fascisme, associée au suprémacisme, à l’apartheid, à l’esprit de conquête, à la colonisation. Il s’agit bien, en mettant en place une police punitive des énoncés destinée à intimider ceux/celles qui ne pensent pas à l’unisson des « amis d’Israël , en recourant à toutes les ressources du softpower relayé par la police et la Justice, en vue de brouiller les cartes, de multiplier les diversions et de promouvoir sans relâche une image flatteuse malgré tout de la démocratie israélienne et de tout ce qui l’entoure, il s’agit bien d’empêcher par tous les moyens la formation, en Occident, d’un front du refus majoritaire dans l’opinion, opposé à tout ce que se permet l’aveugle puissance israélienne aujourd’hui – comme si elle disposait, et pour toujours, d’un crédit illimité en matière de criminalité d’État.

Il s’agit bien de créer, sur les territoires de la démocratie occidentale, des espaces soustraits à la norme, en parfaite symétrie avec l’exception israélienne, de purs miroirs de celle-ci : dans les démocraties libérales, on peut parler de tout, la discussion est libre... sauf là où les échanges, les énoncés et les conversations sont surplombés par les mots terribles et prometteurs de lourdes sanctions aux infracteurs à la correction langagière – antisémitisme, terrorisme. Là, le régime de la parole change du tout au tout. C’est un système d’abcès de fixation, créé de toute pièce, et destiné à substituer, dans le débat public, le jugement, la sanction, l’opprobre à la réflexion, à l’échange, au débat. Un régime de pure exception, donc, trouvant sa justification imaginaire dans la caractère vital de ce qui y est supposément en question – la survie d’Israël, la sécurité des Juifs et, plus généralement, la paix civile... C’est un système de police discursive dont l’objet est constant : empêcher les gens de penser par eux-mêmes, de se former leurs propres opinions et de les émettre publiquement, de se rassembler autour de ces opinions dès lors qu’est en question l’honorabilité et l’intangibilité de la puissance israélienne. Cela passe par la criminalisation tout à fait artificielle d’énoncés particuliers et la constitution d’une scène exclusive autour de la répression de ces énoncés.

Voyez tout particulièrement tout ce qui a pu se focaliser autour du fameux H word – comme si tout ce qui est en jeu dans la destruction de Gaza par l’armée israélienne avec les massacres qui l’accompagne se réduisait à l’emploi correct du H word, c’est-à-dire à son association réglementaire et obligatoire à l’adjectif « terroriste ». Prenez un journal comme Le Monde : jamais, dans aucun contexte, il ne se permettra d’évoquer le raid du 7 octobre et les factions palestiniennes qui l’ont conduit sans y associer l’adjectif « terroriste ». On voit bien ici le sens de cette obligation, de l’institution de ce règlement pointilleux dans l’espace énonciatif et celui des échanges discursifs : substituer le régime de la pensée magique (une fois qu’on a placé le mot « terroriste », on a tout dit et on a fait sa prière vespérale), des rites, des exorcismes, des messes blanches et noires rassembleuses à celui de la pensée critique et de la libre expression. Faire en sorte que la formation du consensus informe autour de ce que sont censés signifier les mots associés à l’horreur et la terreur (antisémitisme, terrorisme) soit produit sur le mode du réflexe conditionné plutôt qu’il ne découle d’un accord résultant d’un échange d’arguments. L’emploi correct de ces termes devient un test, un examen de passage, un checkpoint discursif, le moyen le plus expédient d’éliminer le moment de la réflexion critique.

Dans le prolongement de la mise en place de cette police discursive se profile la cérémonie du châtiment : quiconque entreprend de braver le règlement sera puni et son châtiment fera l’objet d’une mise en scène, aux fins d’édification du bon peuple. Quiconque s’obstinera à contester l’association du H word au vocable « terroriste » ou, pire encore, ira jusqu’à préférer associer celui-ci à d’autres adjectifs, « combattant », « résistant », par exemple, sera brûlé en place de Grève. Il s’agit bien, par ces procédés d’Inquisition, de produire un effet de vive intimidation sur le public – n’allez pas vous avisez de penser par vous-même ni de former pour votre compte vos propres énoncés à propos de tout ce qui s’associe au H word – il pourrait vous en coûter... Le vieux Kant se retourne dans sa tombe, lui qui associait la maxime Aude sapere – aie l’audace d’être autonome dans la formation de tes propres jugements sur le présent – à la condition de modernité.

Quand un éminent spécialiste du monde arabo-musulman comparaît devant un tribunal pour ne pas avoir associé correctement le H word à l’adjectif qui le voue aux gémonies, la présidente l’interpelle, dans le ton et le style du flic de quartier bousculant le dealer du coin, pris sur le fait : « Oui ou non, pensez-vous que le H... est une organisation terroriste ? ». La simplification à l’extrême d’objets ou de phénomènes dont l’appréhension suppose des opérations complexes, des remontées généalogiques, des efforts de contextualisation, de la traduction entre les cultures, la simplification à outrance sous le couvert de la Loi, est ici l’arme absolue des co-tuteurs du génocide qui s’activent sur le second front. Il s’agit bien, en exposant un spécialiste, un chercheur de haute distinction académique, ici traité comme l’est habituellement la fraction de la plèbe portée aux illégalismes, à la menace de l’emprisonnement, ni plus ni moins ; il s’agit de pratiquer, dans le contexte général où se déroule ce procès (une supposée démocratie tempérée aux mœurs politiques et autres supposément douces) une sorte de terreur, de terrorisation des auteurs d’énoncés non-conformes, une pratique qui constitue le pendant rigoureux de la terreur en grand dont les Gazaouis et les habitants de Cisjordanie font les frais, sur le terrain. Cet usage dissuasif du H word, comme une sorte de booby trap enfouie sur le chemin parcouru par les opposants au génocide a pour objectif la mise au pas (Gleichschaltung, LTI) idéologique et discursive du public, là où ce qui est en question n’est rien moins que la perpétration d’un génocide (au présent, pas comme objet mémoriel) et la survie d’un peuple.

On remarquera qu’il n’y a pas l’ombre d’un enjeu de pensée qui s’associe à l’exécution du rite dressé ici devant le citoyen ordinaire comme l’échafaud devant le condamné à mort. C’est en effet qu’à s’en tenir à l’usage le plus courant, le mot « terroriste », adjectif, cela veut dire tout simplement : qui se destine à provoquer la terreur. D’où il découle que si ce que vous tenez à établir, conformément au lexique, c’est que le raid (ou la razzia) du 7 octobre 2023 était bien destiné à susciter la terreur, aussi bien auprès de ceux qu’il visait directement que ceux/celles qui s’identifient à ces derniers, alors vous ne faites qu’enfoncer une porte grande ouverte – pas de doute, cette opération éclair était bien, en ce sens, « terroriste ». Un usage des plus classiques de la terreur dans le cadre d’une lutte à mort ou d’un conflit sans règles opposant deux ennemis – ce qui est bien le cas dans la configuration désignée.

Mais, naturellement, pour que cet emploi ne soit pas totalement décontextualisé et, de ce fait même, biaisé, pour que le tableau soit complet et la qualification équitable, il conviendrait d’ajouter immédiatement : tout comme sont manifestement terroristes les bombardements aériens infligés à la population de Gaza par l’aviation militaire israélienne. Et pour être tout à fait complet et analytiquement correct, il faudrait ajouter encore que ce qui fait la différence entre les deux modalités « terroristes », c’est que la première est singulière (une seule fois) et artisanale (exécutée avec des moyens limités), tandis que l’autre est produite à l’échelle industrielle et indéfiniment répétable – ce dont l’effet flagrant est que les victimes de la première se comptent par centaines tandis que celles de la seconde le sont par dizaines de milliers. Les premiers au passé, les seconds au présent continu.

Mais évidemment, on voit bien ici que ce qui intéresse les gens de la Caste, ce n’est pas cet usage sobre de l’adjectif « terroriste », c’est toute l’agitation démonologique et les messes noires qui peuvent se greffer autour de ce mot. Ce qui les intéresse, c’est de substituer à la discussion un théâtre des aveux – forcer les malpensants à avouer leurs connivences avec le Malin et, en les exposant à des représailles terribles (un Directeur de recherche émérite au CNRS, auteur de nombreux savants ouvrages menacé de prison, pour avoir mal associé au H word – il faut quand même prendre la mesure de la chose, ça réveille des spectres peu avenants...), puis, sous l’effet de la menace, en les conduisant à manifester leur repentir publiquement à l’occasion de cette cérémonie que constituera le procès (mânes de Foucault) ou bien alors, pour les moins aguerris, un Canossa plus ou moins bafouillant devant un micro de journaliste ou des caméras de télévision. Ce qui intéresse ici les inquisiteurs de tout poil, ce n’est évidemment pas la qualification de l’action destinée à inspirer la terreur, ce n’est pas l’enjeu analytique de cette caractérisation/dénomination – c’est la fabrique des essences monstrueuses : les perpétrateurs de l’action terroriste comme monstres, tout ce que recouvre le H word comme tout uniment et exclusivement monstrueux, et, par chaîne d’équivalence, tout ce qui, de près ou de loin, peut y être associé comme relevant d’une pure et simple tératologie. Donc, en toute logique, ceux/celles qui rechignent à opérer les associations réglementaires avec le H word comme monstres, eux et elles aussi... C’est une liturgie moyenâgeuse, étrangère à toute espèce de réflexion critique sur le présent. Tout au contraire : un rite obscur d’exécration et de conjuration, un exorcisme destiné à se substituer à l’ontologie du présent, sous toutes ses formes, tant profanes que savantes.

Et, en France, la clé de ce dispositif, c’est la loi chewing-gum portant sur l’apologie du terrorisme et dont la fonction est de donner un maximum de visibilité à ces rites obscurs visant à tétaniser le public et à empêcher, tout simplement, les gens d’opiner en exerçant leur libre arbitre, contre le courant, là où nos élites et nos gouvernants sont massivement engagés au côté des barbares et des criminels d’État. Il s’agit de créer de la suffocation, dès lors que la criminalité israélienne est en question, de soustraire des espaces toujours plus étendus à la discussion. Plus la démocratie de marché apparaît à bout de souffle et plus elle peine à se distinguer du nouveau fascisme proliférant dans les espaces du Nord global, et plus elle est portée à recourir à ces exorcismes dans le but de rendre indistincte son alliance stratégique avec le nouveau fascisme qui, au Proche-Orient, s’habille aux couleurs du sionisme génocidaire et conquérant.

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