« Israël a le droit de se défendre... » [4/5]

Brève halte sur le fétichisme de l’État

Il existe un fétichisme de la puissance étatique comme il existe un fétichisme de la marchandise, et la manifestation de ce fétichisme de l’État est constante : accréditer comme effet de la Raison immanente au réel (historique, institutionnel, puissance incarnée, massive et molaire) les concrétions étatiques. La staticité de l’État et la compacité de ses appareils (sa compacité comme appareil) tendent à faire valoir sa réalité comme vérité et à faire oublier qu’il est emporté, comme toute réalité, par le flux du devenir. L’État devient, aux yeux des vivants, un fait immuable, immunisé contre les aléas de l’Histoire.

Or, il nous faut perpétuellement, à la lumière, précisément, de l’expérience historique, nous défendre contre ce fétichisme de la puissance étatique, contre cette aura de l’objectivité étatique ; leur conséquence est que nous sommes constamment portés à considérer les faits ou les données étatiques comme établis une fois pour toutes – une illusion ou une superstition découlant de notre propre constitution en sujets historiques pleinement embarqués par le destin de l’État, étatisés jusqu’au cou, dans notre condition historique ; mais une illusion d’optique que dément l’expérience même des vivants – c’est sous leurs yeux que des États se font et se défont – Israël, précisément, ce n’est pas un certain immémorial comme les plus anciennes des nations européennes, c’est le temps d’une vie humaine – je suis né avant l’apparition de ce douteux aérolithe ; L’État moderne, à proprement parler, en Occident, c’est l’affaire de quelques siècles et pour ce qui est de l’immutabilité des territoires dans lesquels sont circonscrits les États-nations, la guerre en Ukraine en montre la précarité ; aujourd’hui comme hier, les guerres du XXème siècle se sont jouées sur des histoires de frontières.

Le jeu de l’État est de s’imposer comme réalité irrécusable et nécessité absolue aux yeux des vivants, ceci à l’encontre de tout ce qui le place, comme tout le domaine de l’Histoire, sous le régime général des concours de circonstances et de l’immanence de l’État à une histoire en mouvement, en flux, constamment variable, tissée de la combinaison d’une multitude de facteurs.

Ici se distingue la très grande singularité de l’État d’Israël, en comparaison des États-nations européens : dans la formation de ceux-ci, ce qui prévaut, c’est l’établissement dans la longue durée (des siècles) de leur formation, sur un mode processuel. Le processus est plus bref en Amérique du Nord et du Sud. La Chine est un monde à part, avec la combinaison d’immémorial impérial et d’adoption tout à fait conditionnelle du modèle occidental de l’État-nation (au fil des deux révolutions qui ont projeté la « Chine nouvelle » dans une modernité où les normes sont fixées par l’Occident). Dans les anciennes colonies, l’État-nation est le plus souvent un modèle importé, souvent bricolé à la hâte à l’heure des indépendances, sur un mode mimétique, à l’imitation de l’Occident.

Ce qui fait la particularité d’Israël, c’est que l’apparition de cet Etat nait d’un coup de force, d’une opération militaire (dont au fond le raid du 7 octobre 2023 n’est jamais que la réplique en miniature, longtemps différée), d’une façon telle que la formation de l’État (comme puissance armée) y précède celle du peuple ou de la nation, tandis que dans la grande forme des États-nations européens, quelle que soit l’idéologie ou la « vision » qui la soutient, à la Fichte ou à la Renan, ce sont les interactions durables entre peuple, nation et structure ou appareil étatique qui président à la formation de cette figure exemplaire de la modernité historique – la nation comme « destin » s’accomplissant, couronnée par l’État. Qui plus est, ce qui renforce encore la singularité d’Israël, c’est que ce qui va y tenir lieu d’État-nation s’impose au prix d’une évacuation/élimination/substitution d’un peuple par un autre – les Juifs, peuple de synthèse à tous égards, au détriment des Palestiniens). Contrairement à ce qui fut le cas dans la formation des peuples-nations en Europe, la formation d’un « creuset national » ne résulte pas en premier lieu de l’amalgame entre des peuplades ou espèces ou « races » plus ou moins hétérogènes, de provenances diverses, mais de l’expulsion/élimination des autochtones et de leur remplacement par une poussière d’humanité provenant de tous les horizons, tout à fait hétéroclite et rassemblée, amalgamée par l’effet de leur placement sous le signe ou le régime du principe unificateur d’en-haut – l’État juif. Israël attire au fil du temps des générations de Juifs de toutes provenances, et même de simili-Juifs avérés, comme les colonies attiraient et amalgamaient toute une humanité variablement déclassée, stigmatisée, désorientée (etc.) issue des métropoles.

Le principe unificateur d’Israël, ce n’est pas la formation lente et progressive d’un peuple via des processus conjugués de longue haleine (formation d’une culture, d’un mode de vie, d’une langue, d’un roman national, d’un système de mœurs communs, un ensemble de facteurs convergeant dans le sens de l’homogénéisation portant la marque conventionnelle du « national »). Ce qui prévaut constamment, dans le cas d’Israël, c’est l’unification par le haut, par l’appareil étatique et la prévalence de l’élément de l’assimilation sans ménagements et de la force – en tant que puissance en expansion animée par l’esprit de conquête et l’état de guerre perpétuelle contre les voisins et les dépossédés spoliés par la colonisation.

En ce sens même, Israël se tient au plus loin de l’État-nation de type européen, dans la mesure même où l’existence, toute relative, d’un « creuset » destiné à amalgamer des populations de provenance différente, les dynamiques d’intégration et d’assimilation sont en permanence subordonnées au caractère intrinsèquement colonial de cet ensemble, de cette puissance animée par une dynamique expansionniste. Israël n’est pas un État-nation empruntant l’essentiel, à la hâte, à la matrice européenne, comme l’ont fait les anciennes colonies, Israël est plutôt une projection, à contretemps, de l’histoire européenne dans un espace préalablement mis en coupe réglée par les puissances européennes (la Grande-Bretagne et la France en premier lieu, à la faveur du processus de décomposition de l’empire ottoman). Ce trait de place forte, de poste avancé l’a toujours emporté sur ce qui apparenterait cette puissance à un État-nation ou un peuple à l’européenne. Le facteur de cohésion le plus puissant de cet ensemble a toujours été la présence d’une supposée menace vitale, bien davantage qu’un système de mœurs, une langue, une culture ou quelque élément de civilisation en commun. Au plan de la population, Israël demeure un agrégat, toujours plus composite, rassemblé sous le signe de la puissance agressive, de la force, de l’animosité contre l’ennemi bien davantage que par un roman national, pour ne rien dire d’attachement à des principes, des valeurs, des idéaux communs.

Israël n’est pas un État-nation dans le sens européen du terme, c’est une force blanche (de fraîche adoption) en expansion, détachée de son socle et projetée au fil de circonstances historiques tant aléatoires que désastreuses au cœur du monde arabo-musulman. Un bloc erratique. Il faut ici rétablir, contre toute notion de nécessité ou de rationalité historique, la part de l’accident, voire de l’aberration ou de la pathologie historique. Loin de « rétablir », rightdoing quoi que ce soit, la formation (fondation) de cette puissance prolonge et aggrave le désastre et le crime sur lequel elle enchaîne – c’est ce qu’expose aujourd’hui dans une clarté aveuglante le moment actuel agencé, condensé autour du mot « Gaza » – Israël non pas comme réparation mais comme suite, enchaînement du désastre sur le désastre – la pseudo-réparation comme reprise ou relance du désastre transporté, déplacé dans un autre environnement, et sur un mode particulièrement accablant – là où les exécuteurs testamentaires des victimes deviennent à leur tour les bourreaux et les monstres.

Tout ceci placé sous ce régime d’Histoire : d’un désastre l’autre – un désastre enchaîne sur l’autre, très exactement à l’opposé de la légende construite par le sionisme – Israël comme État-réparation et Wiedergutmachung, redressement et retour à la bonne forme ou orientation du cours de l’Histoire.

Il faut opérer ce radical changement de perspective sur ce qu’a signifié la création de l’État d’Israël, en termes historiques, pour pouvoir libérer le présent et l’avenir de la tyrannie du passé. Comme on le voit en pleine lumière aujourd’hui, la création d’Israël a enfermé l’avenir dans la répétition de la plus sinistre des manières – ceux qui se proclament héritiers des victimes deviennent des bourreaux. Le chemin qui conduit d’Auschwitz à Gaza passe par la Nakba, c’est-à-dire par la création de l’Etat colonial israélien. Cette trajectoire est placée sous un régime d’Histoire qui est bien celui du désastre, de la guerre en permanence et de la terreur. Le pas de côté destiné à se dissocier (desceller, désemboîter) de cette Histoire surplombée par la figure de la catastrophe (Benjamin, Thèse IX), à s’extraire résolument de la tyrannie instaurée par la fondation de l’État sioniste ne peut que prendre la forme de l’apparition dans cet espace, sur cette terre ou ce territoire d’un peuple aussi radicalement décommunautarisé que possible. Ceci par contraste avec un assemblage de tribus entièrement placé sous l’emprise de l’histoire passée (histoire maudite), c’est-à-dire soumise au régime du retour perpétuel des haines figées, de l’esprit de vindicte, du ressentiment, des arrangements boiteux.

Dans une telle communauté décommunautarisée ou détribalisée, la seule fidélité recevable est celle qui lie les sujets individuels à la constitution commune qu’ils se sont donnée par délibération et libre consentement – quelque chose qui s’apparenterait ici au « patriotisme constitutionnel » dont Habermas se faisait l’avocat pour l’Allemagne post-nazie. Cette fidélité ou cette loyauté (et ce point est essentiel) est due, dans ce contexte à la communauté elle-même, plutôt qu’à l’État. Et s’il s’agit d’une sorte de « patriotisme », celui-ci se rattache à la raison plutôt qu’aux affects qui, dans les États-nations de forme européenne, rattachaient les sujets individuels, plus ou moins convulsivement, dans l’espace-temps balisé par les guerres mondiales, à la Nation.

L’objection majeure qu’on peut opposer à cette approche du pas de côté, de la nécessaire déliaison de l’avenir historique de la Palestine d’avec le destin que le sionisme lui a assigné, c’est qu’elle emprunte essentiellement à l’expérience collective et à la pensée européennes, qu’elle relève d’une projection sur un espace-autre d’une normativité, de concepts, de valeurs élaborés dans ce champ – là où, précisément, le poison de la colonisation a fermenté. La notion même de la citoyenneté, la figure du citoyen comme unité de compte primordiale de la vie commune (dans l’expression politique de celle-ci), c’est évidemment une idée européenne dont, précisément, l’affaiblissement et, aujourd’hui, la chute, ont accompagné le destin des démocraties libérales – de son avènement (1848, symboliquement, dans l’espace français) à sa déchéance au temps des « populismes » de différentes espèces. D’où l’aporie (massive) d’une nouvelle projection « utopique » (le sionisme a bien, par quelque trait, une dimension utopique, même si celle-ci se situe, au mieux, au niveau des divagations boy scout de Theodor Herzl) de la pensée européenne sur le territoire des autres – ubi sunt non pas leones mais Palaestinienses. Cette République dont la composition serait fondée sur un agencement de citoyennetés déliées, disjointes de l’appartenance des communautés (ethniques, religieuses, culturelles...), désinscrite de l’horizon communautaire (dans le sens de tribal), c’est assurément une utopie européenne, et c’est là, bien sûr, la limite d’une telle proposition.

Mais il s’agit en quelque sorte de procéder par élimination : un État dont le fondement serait une coagulation ou un arrangement entre deux communautés préconstituées et que tout a séparées depuis trois quarts de siècle, pire, dressées l’une contre l’autre, ne pourrait être que d’emblée placée sous le signe de la discorde et de la sécession annoncée. L’héritage écrasant de l’ethnicisation de la vie de l’Etat et de la vie publique n’est guère soluble que dans l’utopie d’une République rigoureusement décommunautarisée et dont le ciment soit le contrat égalitaire qui unit ceux qui en forment le corps. Il faut, dans un tel contexte, un puissant élan émancipateur pour briser les chaînes qui entravent la formation d’un peuple neuf, qui retiennent ceux qui le composent sur le versant des affects, des représentations, des usages et des conduites hérités d’un passé dévasté.

On voit bien, à titre de comparaison comment, en Afrique du Sud, la sortie de l’apartheid fondée sur la recherche du compromis entre les communautés, les arrangements et les demi-mesures, tout l’arsenal de ce supposé pragmatisme inspiré par Mandela a débouché non pas tant sur l’émergence d’une nouvelle règle ou d’une nouvelle matrice de la vie publique, de l’organisation de l’État ; mais bien plutôt d’une conversion de l’apartheid fondé sur la race en une sorte d’apartheid social marqué par le durcissement des inégalités sociales et l’émergence d’une maigre mais opulente classe privilégiée (patricienne) africaine (noire). Le social divide prenant le relais du color divide, les victimes du régime d’apartheid continuant de réclamer justice en vain et les Afrikaneers nostalgiques se proclamant victimes d’un racisme antiblanc.

La grande difficulté, dans ce type de configuration où il s’agit de s’extraire d’un passé saturé de crimes et de traumatismes est de ne pas succomber à la tentation de passer à l’ordre du jour au nom de l’urgence et de l’ampleur des tâches s’imposant dans le présent, en toute priorité, en mettant en veilleuse l’exigence de justice (dans sa double dimension : réparer les torts commis, punir les coupables), ceci sans pour autant donner libre cours à l’esprit de vindicte – sans entrer dans le temps des « règlements de compte ». L’urgence est alors de concilier deux inconciliables – changer de tableau, « repartir de zéro » (Foucault), se fonder sur de nouvelles prémisses, faire apparaître de nouveaux personnages, dessiner une nouvelle configuration, rebattre entièrement les cartes – mais sans pour autant, d’un autre côté, tourner la page, voire déchirer à la hâte les pages du passé sur lesquelles sont inscrites en lettres de sang les crimes commis par le vainqueur d’hier. Il ne suffit pas que les termes de la conversation aient changé, il faut que les torts accumulés soient réparés, que les crimes soient punis, que justice soit faite. Les procédures de réparation en réalité amnistiantes, telles qu’elles ont prévalu en Afrique du sud ont montré leurs limites – elles n’ont pas éteint la vindicte, au contraire, elles ont perpétué la rancœur et la frustration de ceux et celles qui ont vu les coupables s’en tirer à bon compte et auxquels justice n’a pas été rendue. Il faut tout à la fois repartir de zéro et ne pas « balayer sous le tapis » les crimes commis sous le régime (au sens extensif) antérieur – un pari à tous égards intenable.

Il faut lutter sans relâche contre cette croyance, illusoirement inspirée par le sens commun : ce qui l’a emporté n’a pas pu le faire sans raison(s). Ce qui, en termes plus crus, se dirait : il y a bien toujours une part de raison dans ce qui s’est imposé par la force. Ici, le supposé sens commun rejoint l’immémoriale philosophie de l’Histoire des vainqueurs : la victoire, ce qui s’est imposé sur le terrain, c’est cela même qui, en premier lieu, valide nos raisons – nous donne raison, en surcroît de l’avantage sur le terrain. Toutes les idéologies conquérantes, incluant celle des nazis et des sionistes, puisent sans mesure dans ce type d’apologétique, là où se boucle la boucle entre l’échu (le résultat d’une lutte, d’un affrontement, d’un rapport de force) et le rationnel – nous n’avons pas pu vaincre sans raison(s), et réciproquement, notre victoire nous donne infailliblement raison. « Donner raison », c’est ce qui donne une portée et un sens moraux à la victoire – et c’est ainsi que la fondation par la force, au fil d’une campagne militaire, d’une conquête par les armes d’un prétendu espace vital, au prix de l’exode forcé des habitants de ce territoire (une épopée, du point de vue du vainqueur) émaillée de massacres devient une action morale grandiose – rien moins que la réparation du tort infini infligé par les criminels nazis au peuple juif.

Dans le cas de la transmutation du sionisme (une prolifération discursive, une idéologie, une fantasmagorie) en Etat, cette transfiguration d’une action purement et simplement violente – une conquête de type colonial – en fable morale de haute tenue, cette opération a été conduite par les sionistes et leurs supporteurs de tout poil avec un brio tout particulier.

C’est cette opération qu’il est urgent aujourd’hui de déconstruire aussi complètement, aussi radicalement que possible en rappelant qu’avant toute chose, Israël est, premièrement, issu d’un concours de circonstances – les Américains, et avec eux les principales puissances occidentales, et les Soviétiques s’entendant très provisoirement sur l’idée qu’il fallait offrir un cadre « national » aux Juifs rescapés de la Shoah ; et secondement d’un coup de force – la campagne militaire conduite en vue de la fondation de l’État d’Israël au prix d’une purification ethnique de grand style. Rien dans tout cela qui n’ait un pacte ni avec la Raison dans l’Histoire, ni avec la Morale universelle. Bien davantage, une catastrophe promise emboîtée dans une catastrophe échue. L’illusion rétrospective selon laquelle ce qui a eu lieu devait avoir lieu, avait de puissantes raisons d’avoir lieu brouille constamment les cartes de l’intelligibilité historique – mais dans ce cas tout particulièrement : elle est ce qui nous porte à doter a posteriori le sionisme (comme projet historique de règlement de la supposée question juive par son étatisation indissociable d’une entreprise de colonisation) d’un fondement rationnel – alors même que, jusqu’à la destruction des Juifs d’Europe, les contemporains dans leur immense majorité, Juifs compris, étaient à bon escient portés à le considérer comme une fantasmagorie sans conséquence, au mieux une utopie politique baroque, dépourvue de toute portée pratique.

La « preuve par l’existant » est toujours fallacieuse, mais elle est ici particulièrement inconsistante : ce qui a triomphé, c’est une politique de la force et des fait accomplis, sur les bas-côtés ou dans le prolongement de ce désastre global qu’a été la Seconde guerre mondiale, dans un monde de vainqueurs et de vaincus, où l’irrationnel et la démesure étaient au poste de commande. Ce qui s’y est alors solidifié comme le réel, le tangible au sens de l’établi (le légitimé comme institué) y est tout sauf le rationnel incarné – dans les fondements « éthiques » et « rationnels » d’Israël, s’identifie avant toute chose la dépossession d’un peuple et la fondation d’une souveraineté sur un mode hyperviolent, sans rapport aucun avec l’auto-affirmation d’un peuple opprimé ou colonisé, comme ce fut le cas lorsque les anciens peuples colonisés par les Européens accédèrent à l’indépendance et la souveraineté.

L’irréversible qui s’affirme alors et qui s’est pétrifié aujourd’hui en intangible, indiscutable sacer, l’État d’Israël, avec tout ce qui sature ce puissant syntagme, porte la marque indéfectible de cette violence fondatrice en tant que spoliatrice. C’est cette image qui revient en force aujourd’hui dans le champ de visibilité, éclairée et relayée par la production du chaos et de l’œuvre de mort dont cette puissance est aujourd’hui le vecteur. Cette puissance de mort a longtemps été entourée d’une aura fallacieuse qui la dotait du privilège d’être intouchable – elle pouvait tout se permettre. Aujourd’hui, à la lumière de la séquence qui s’est développée depuis le 7 octobre 2023, le sens de l’adjectif intouchable s’est infléchi – Israël est devenu intouchable aux yeux des peuples du monde en tant que pourvoyeur de chaos et force de mort résolument infréquentable.

C’est sous cet angle qu’il faut considérer qu’il n’y a rien d’irréversible dans le fait israélien, envisagé sous tous ses angles. Il n’y a rien d’irréversible, tant du point de vue des faits que de la rationalité, dans l’existence d’Israël, concrétion de force abusive, agent proliférant de la production du chaos, manifestation pathologique durable de la propension ininterrompue de la puissance à son accroissement sans limite, quoi qu’il doive en coûter. Dans une perspective généalogique, il faut voir avant tout dans la création de l’Etat sioniste une colossale bévue, un bafouillement de l ’Histoire, découlant des plus désastreuses des circonstances. Le plus malheureux des coups de dés de l’Histoire de l’après Seconde guerre mondiale.

Israël n’est en rien un État-nation de forme ou consistance comparable à ceux qui ont été la charpente du relatif ordre européen qui a émergé sur les ruines des monarchies et des empires, un « modèle » (lui aussi très relatif) qui s’est ensuite étendu à l’échelle de la planète. Israël est une concrétion de force surgie du néant à la faveur de circonstances désastreusement improbables, portée sur les fonts baptismaux par les calculs à courte vue des grandes puissances et dont l’hybris, l’esprit de démesure conquérant a toujours été le premier des principes actifs.

Israël est, du point de vue global de la modernité politique, à tous égards un accident de l’histoire, voire une aberration – un État-nation en toc et une entité coloniale surgie au temps de la décolonisation, un fragment d’Empire occidental fiché dans le flanc du Sud global. Une aberration géopolitique, un morceau d’Europe transporté au cœur du monde arabo-musulman, comme l’attestent, dans la dimension (ici dotée d’une forte portée symbolique) la participation de son équipe de foot au championnat d’Europe et celle de ses chanteurs de variétés au concours de l’Eurovision.

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