Une conspiration cairote en trompe l’œil.

Les louanges quasi unanimes adressées depuis sa sortie à “L’Enfant du Paradis” (“ولد من الجنة” ou “Boy from heaven” en anglais, ), rebaptisé en français « La conspiration du Caire » et, ce faisant, aux trois trompe l’œil de la rhétorique éradicatrice, me laissent un amer arrière-goût d’insatisfaction…

La conspiration du Caire, le dernier film de Tarek Saleh, le scénariste et réalisateur suédois d’origine égyptienne, est brillant et attirant par bien des aspects. Ces facettes attrayantes rappellent courageusement l’omniprésence et l’omnipuissance des services de sécurité et de leur usage terrifiant de la manipulation et de la torture. Dans le film, retient également l’attention, un mélange déroutant de scènes filmées furtivement au Caire ( au demeurant, religion oblige, étrangement peuplées presque exclusivement de mâles ) mais le plus souvent à Istanbul, où le film a essentiellement été réalisé avec un casting d’acteurs curieusement non égyptiens. Mais, tout incite bien sûr à le voir et je ne regrette pas d’y être allé.

Toutefois, les louanges quasi unanimes adressées depuis sa sortie (par exemple dans « La Conspiration du Caire », une critique acerbe du pouvoir en Égypte – Nicolas Lepoutre (Orientxxi.info) à cet “Enfant du Paradis” (son titre original) m’ont tout de même laissé un arrière-goût d’insatisfaction.

Pourquoi ?

Premièrement et peut-être par-dessus tout, parce que l’énoncé de cette configuration égyptienne conforte le spectateur occidental (je doute que la masse de ses homologues égyptiens puisse y souscrire avec une identique unanimité) dans une vieille croyance en trompe-l’œil : la fracture politique qui traverse l’Égypte contemporaine – et avec elle le reste du monde arabe – serait de nature… religieuse.

J’ai pour ma part la faiblesse de croire que – même si la planète occidentale tarde chaque jour un peu plus à bien vouloir s’en apercevoir – cette fracture est plus banalement politique et… démocratique.

Pour accentuer ce dérapage, et aggraver le premier biais de la démonstration, le scénario primé au festival de Cannes en 2022 tend à faire accroire que dans l’Égypte de Sissi, le centre de gravité des enjeux de pouvoir, ou l’un des tous premiers, serait non pas l’armée mais la célèbre université Al-Azhar, cette fameuse « première institution de l’Islam sunnite dans le monde ». Là encore, la réalité me semble être substantiellement différente. Depuis Nasser, la colonne vertébrale oppositionnelle de celle qui fut une prestigieuse institution a été en effet méthodiquement brisée, et Al-Azhar, dont les cheikhs mangent de longue date dans la main des dictateurs, si photogéniques soient son architecture ( la mosquée d’al-Azhar de style fatimide est ici remplacée par la Suleymaniyyé mosquée ottomane d’Istanbul ) et l’uniforme de ses étudiants, n’est plus aujourd’hui, dans le champ politique, que l’ombre de ce qu’elle a été.

Last but not least, tout s’enchaine logiquement dans le scénario (qui a retenu l’attention du jury de Cannes) où la principale alternative oppositionnelle présente dans le champ politique égyptien et arabe est réduite à une très grotesque caricature criminalisante nourrie d’inusables clichés (pour ou contre Sayyed Qutb).

Pour quiconque a pris, par exemple, le temps de faire connaissance avec les ministres de Morsi exilés à Istanbul, ce portrait terriblement réducteur des Frères Musulmans en particulier, de cette opposition islamiste (qui a mobilisé jusqu’à 66 % de l’électorat égyptien) dans son ensemble, est aussi trompeur qu’il est sciemment malhonnête. Il est sans surprise le portrait que véhicule ce segment surmédiatisé des gauches arabes demeurées dans le carcan éradicateur de l’exclusion de leur rival islamiste, tout particulièrement lorsqu’elles s’expriment devant un public occidental si prêt à les entendre. Ces segments des gauches cherchent à puiser, dans la dénonciation de ce qui serait une translation incontrôlable du champ du politique vers celui de la radicalité religieuse, une excuse à leurs contre-performances évidentes dans les urnes du printemps arabe.

Posture problématique, cette rhétorique l’est car elle n’a rien à envier à celle des régimes autoritaires de la région, de Sissi aux Emiratis, et pas davantage à la logorrhée qui prévaut majoritairement dans médias et classes politiques aussi bien en Europe qu’aux États-Unis qu’en Israël ou en Russie.

Elle rejoint également, il est vrai, le registre de feu le “grand” réalisateur égyptien Youssef Chahine, que le jury de Cannes, lors de la présentation de son film “Le destin” , une identique caricature co-financée par…le ministère égyptien de l’information, avait couvert d’éloges (Prix du cinquantième anniversaire du Festival) pour l’ensemble de son œuvre !

Dommage, dans ce beau film, de voir tant de talents détournés au service de la doxa pernicieuse qui, face au drame égyptien, entretient le silence et la passivité de la communauté internationale.

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