La solution illusoire des deux Etats

Beaucoup de braves gens se disent entre eux que les événements tragiques auxquels nous assistons en ce moment ne seraient sans doute pas survenus si le processus de paix avait été correctement préservé en son temps contre le mauvais sort. Et plus particulièrement contre l’élimination de ses principaux protagonistes historiques que furent Arafat et Rabin : celui-ci physiquement et celui-là politiquement mais, selon certaines théories, physiquement aussi.

En réalité, on peut se demander si l’option du processus de paix, qui supposait la coexistence de deux Etats distincts vivant côte à côte, n’a pas succombé du fait que certains observateurs influents au sein du monde occidental ne lui ont pas accordé leur préférence. De sorte qu’au premier accroc sérieux qu’elle a subi, au lieu que les efforts se conjuguent afin de la relancer à travers d’autres acteurs, une opération de sape s’est poursuivie contre elle avec, sinon la complicité, du moins la passivité assidue du grand-frère américain.

Pourquoi cette option n’a pas reçu le soutien qu’on pouvait espérer ? Ses détracteurs côté israélien invoquaient, comme à leur habitude, des considérations de sécurité. Un Etat palestinien à leur porte, c’est des combattants qui reprendraient du poil de la bête et qui, à la première occasion, troqueraient le langage de la paix contre celui des armes. Ils pourraient être secondés par d’autres armées, au sud comme au nord, et la menace serait plus grande qu’elle ne fut dans le passé. Qu’est-ce qui garantirait contre une telle éventualité, sachant que, dans le camp palestinien, des figures moins pacifistes occupaient la scène politique et qu’elles bénéficiaient, non seulement de complicités avec certaines puissances de la région, mais aussi d’un soutien populaire susceptible de leur ouvrir la voie du pouvoir un jour prochain ?

Le scepticisme se trouve toujours des arguments de poids en pareilles circonstances. Par définition, toute paix est fragile et un processus de paix qui se respecte se doit de prévoir des actions de consolidation ainsi que des dispositions spéciales de nature à ne pas l’exposer à des revers ou à des actions hostiles. Ne pas envisager ces « compléments », c’est alimenter le doute au sujet de la paix alors même qu’on prétendrait lui donner ses chances.

Mais il semble que le rejet de cette option du processus de paix et de sa solution des deux Etats a fait l’objet d’un doute plus large, en dehors même des sphères politiques israéliennes : dans les milieux diplomatico-militaires des capitales occidentales. Et c’est, comme on l’a suggéré, la raison pour laquelle le processus de paix n’a bénéficié d’aucune action de sauvetage vraie et crédible de la part des principales puissances en Occident.

La cause de cette désaffection est double. Première cause : le risque évoqué plus haut d’une asphyxie d’Israël et, au bout du compte, d’une reprise de l’ensemble des territoires palestiniens – dont Jérusalem - par un pouvoir arabe qui aurait toutes les chances d’être islamiste, cela pourrait faire basculer un large pan du monde musulman dans la configuration d’une guerre anti-croisés. Le scénario d’une reconquête d’Al Qods et de la Palestine donnerait lieu, parmi les populations arabes, à une lecture de l’Histoire telle que tout le système d’alliance qui s’est construit avec l’Occident à la faveur de la lutte contre le communisme, puis contre le terrorisme, se transformerait du jour au lendemain en une relation de rivalité et d’hostilité déclarée : ce risque, les pays occidentaux ne sont pas disposés à le courir. Et on peut les comprendre.

Deuxième cause, plus profonde celle-là : la solution des deux Etats est et restera une solution fragile parce qu’injuste. Pourquoi injuste ? Parce qu’elle fait quand même payer aux Palestiniens, ou au moins à une grande partie d’entre eux, le prix de la terreur que les Juifs ont connu par la faute des Européens. De fait, les Juifs ne sont pas venus en Palestine pour partager une terre avec ses habitants, conformément à un souhait de retour qui les réconcilierait avec la résonance biblique de leur existence. Ils sont venus pour fonder un « foyer » dont le rôle était de les protéger.

Ils sont venus dans l’urgence afin que, plus jamais, ce qu’ils ont vécu dans les camps de la mort ne puisse plus se reproduire. Et, pour cela, ils se sont crus en droit de chasser de leurs maisons et de leurs terres des habitants qui n’avaient en rien pris part aux malheurs qu’ils avaient subis. A vrai dire, cette injustice n’a guère besoin de plus amples explications pour apparaître au grand jour. Si elle a été occultée, c’est uniquement parce que les puissances occidentales tenaient à ce qu’un Etat issu de leur camp se trouve planté là, comme un avant-poste au cœur d’un monde arabe aux intentions incertaines.

Le soutien à Israël et à l’épopée sioniste, en ce sens, n’est pas dénué d’une bonne dose de machiavélisme : en poussant les Juifs sur la terre de Palestine, ces puissances se dotaient d’un fusible qui se chargerait d’absorber la violence et l’antagonisme d’un monde arabe que la fin du califat au début du siècle dernier livrait à une certaine anarchie politique et religieuse propice à des tentations revanchardes. De fait, l’antijudaïsme des Arabes a pu faire un formidable bond en avant, au bénéfice des Occidentaux qui sont pourtant les tireurs de ficelle. Au bénéfice de l’amitié arabo-occidentale et du développement des affaires.

Bien sûr, les Juifs engagés dans l’aventure sioniste n’étaient pas forcément dupes. Ils savaient qu’ils rendaient un service. Que le soutien qui leur était accordé n’était pas gratuit : il rétribuait une prestation, en quelque sorte. Mais ce marché, si on doit le considérer tel, se faisait sur le dos des Palestiniens. Et, là encore, une certaine sagacité permettait de deviner que la paix avec eux qui reposerait sur ce marché serait fatalement une paix fragile.

Par conséquent une paix sur laquelle il valait mieux ne pas compter, malgré tous les inconvénients de la poursuite d’une situation conflictuelle et de ses débordements dangereux.

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