L’intellectuel de cours n’est un vrai intellectuel que par accident

L'islam dont nous avons hérité des coutumes est un islam profondément marqué par la longue histoire de son alliance avec un pouvoir politique qui était globalement despotique. Le despotisme est un régime qui a le souci de prodiguer un certain bien-être aux hommes qui sont placés sous sa domination.

En revanche, il tolère peu l'indépendance de l'intellectuel. L'intellectuel doit être un intellectuel de cours, ou alors être réduit à une vie misérable dans les marges, de sorte que son existence finisse par prendre pour le peuple l'image d'une malédiction.

C'est sans doute la raison pour laquelle notre intellectuel moderne est souvent un intellectuel anti-islam : c'est à la fois le prolongement de ce passé despotique et la revanche que prend l'intellectuel sur le mauvais traitement auquel il avait droit. Il y a de la vengeance dans son attitude.

De la vengeance, mais aussi de l'indigence. Il est comme cet athlète trop longtemps resté inactif et qui, en matière d'exercice, se rabat sur ce qu'il y a de plus facile : imiter ce que font les autres - les commenter, les traduire, les célébrer - et, pour ce qui est de notre propre héritage, se contenter de rejeter ou de dédaigner. Qu'y a-t-il d'autre à faire, diriez-vous, en dehors de dédaigner et de rejeter ? Est-ce que ce n'est pas une attitude plus franche ? Est-ce que l'audace de trancher le cordon n'est pas la seule option qui vaille ?

Peut-être. Mais à condition que cette bravoure affichée ne soit pas le visage nouveau de l'intellectuel de cours, qui reprend du service sous l'accoutrement commode d'un discours d'émancipation. D'autre part, il faudrait s'assurer que le travail d’excavation en vue de délivrer l’islam des rets dans lesquels il s’est laissé prendre dans son aventure despotique est un travail tout à fait inutile.

Il est vrai que des « réformistes » sont déjà passés par là et que leurs tentatives ne sont pas convaincantes : que la modernité qu’ils pourraient avoir à nous offrir est une modernité de deuxième choix, dirions-nous. Face aux peuples du nord, à qui le monde appartient, on ferait piètre figure, n’est-ce pas ! Certes. Mais qui a dit que ce réformisme de nos aînés n’est pas lui-même à réformer ?

Décider de vivre sans religion parce que nos voisins du nord l’ont fait n’est pas en soi une marque d’indépendance. C’est plutôt le contraire qui est vrai. L’indépendance suppose quand même un peu de courage, et ce n’est pas en désertant son propre territoire, en le vouant au néant, qu’on aura montré au monde qu’on en fait preuve.

En fait, le drame c’est que le despotisme n’a pas fait que chasser l’intellectuel : il en a fabriqué de faux. L’intellectuel de cours n’est un vrai intellectuel que par accident. Mais il forme quand même une vraie caste, attachée à son propre confort.

Cette caste n’a pas les qualités qui lui permettraient de donner à ce pays une vie intellectuelle digne de ce nom, mais elle a le pouvoir de consacrer les uns et les autres, de marginaliser aussi les uns et les autres, en s’adaptant aux situations nouvelles. Son pouvoir est celui de durer et, du même coup, de perpétuer son ancien mode d’existence en dépit des changements de l’époque.

Ce qui pourrait arriver de nouveau sous nos cieux, c’est que l’intellectuel s’insurge contre la caste et contre sa propre indigence, et qu’il se donne un projet à la mesure du courage dont il entend faire preuve.

Ce projet ne saurait bien sûr consister à rétablir l’ordre islamique qui, pendant des siècles, a valu à l’intellectuel de mener une existence misérable : aussi bien sous la protection du sultan que dans les ténèbres des marges. Mais il ne saurait non plus se vouer à cette activité de bas régime, par laquelle on se débarrasse de la charge du passé en la jetant par-dessus bord tout en essayant d’imiter ce que font d’autres, et en le faisant mal d’ailleurs.

En dehors de se soumettre à un islam des croyances et des traditions ou, d’autre part, de le réformer, de le mettre au goût rationaliste du jour, il y a une troisième solution, qui est de le réinventer. C’est bien plus audacieux que cet athéisme bravache de certains, et ça fait à nouveau de nous des hommes qui avons à nous poser des questions de fond sur notre présence sur terre et sur le sens de cette présence avec autrui… sans aller chercher bêtement la réponse dans le livre. Il y a un devoir d’alchimiste qui est en jeu et qui peut changer la donne : changer le plomb en or !

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